Chronologie des luttes de 1975

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1972

Août

Affaire de Lyon : scandale où des policiers du service des mœurs ont « protégé » les activités de tenanciers d’hôtels de passe du centre ville, certains étant eux-mêmes copropriétaires de tels établissements. Ils sont suspendus et poursuivis. Fermeture des hôtels de passe qui étaient tolérés dans les ruelles du centre-ville.6 Les prostituées sont donc contrainte à exercer ailleurs : à l’extérieur, en voiture ou chez elles. Intensification de la répression par PV.

24 août : une quarantaine de prostituées se rassemble place des Jacobins. Elles sont rapidement dispersées par la police. Une manifestation est décidée pour le lendemain12.

25 août : seule une trentaine de prostituées (sur 400 à Lyon) manifeste place des Jacobins, tournée en ridicule par la presse. Des policiers ont proposé d’escorter une délégation à la préfecture, mais les amènent alors plutôt au poste de police et les mettent en garde à vue.6,12

À l’automne : fondation du Groupe d’information sur la prostitution par une vingtaine de militants alliés initiés par Christian Delorme dont la seule action sera la publication en coédition avec le Mouvement du nid d’une publication titrée Prostitution-vérité tirée à 20,000 exemplaires.

Novembre

16 novembre : arrestation du commissaire Louis Tonnot et inculpation le 17 novembre pour assistance à proxénétisme. Il sera condamné en juin 1973 à 5 ans de prison ferme.

1974

Mars ou Avril

23 mars : meurtre de Renée Grangeon1,13

Mai

15 mai : meurtre de Chantal Rivier1,13

Réunion entre prostituées, avocats, militants du Nid et journalistes.1

Rédaction d’un texte collectif axé sur la sécurité et distribution au Syndicat de la Magistrature, à la presse et sous forme de tract aux prostituées.1

Juin

Agressions de Cathia et Carole, par Marius Comaret, qui aurait tenté de les étrangler.21

10 juin : réunion organisée par le mouvement du Nid dans les locaux de la maison d’édition Chronique Sociale. Environ 50 personnes présentes dont 15 femmes prostituées

25 juin : 2e réunion houleuse en présence du chef de la sûreté de Lyon, le commissaire Laurent, et le commissaire Winnick de la brigade des moeurs, responsables de la répression.22

Août

27 août : Meurtre de Marcelle Anaclet, connue sous le nom de Sandra, étranglée par un client dans un hôtel près de Perrache.1,13,17,21

Automne

De nouvelles agressions ont lieu17,21:
6 septembre : vol de Nathalie par un faux policier, Norbert Broch;
14 octobre : agression de Micheline par Marc Duperay
22 novembre : agression par Didier Julien;
5 décembre : agression d’Odette par Manuel Costa

1975

En début d’année, agression de Josette le 13 janvier par Arham Banseghian17,21.

Avril

3 avril : agression d’une prostituée par un client. Les journaux divulguent le nom et l’adresse de cette femme, vraisemblablement obtenus par source policière.

Une lettre ouverte sera envoyée au journal par les militants du Nid et une copie circulera dans la rue.

4 avril : l’Assemblée nationale approuve un projet de loi modifiant le code pénal sur la lutte contre le proxénétisme, permettant aux associations de se se porter partie civile dans les procès17. Celle-ci sera promulguée le 11 juillet, avec des dispositions étendant le proxénétisme hôtelier.


Pendant le mois d’avril, on ressort une vieille loi jamais appliquée sur la récidive en matière d’amendes. Les personnes faisant l’objet de deux condamnations pour le même motif, dans la même ville et dans la même année sont passibles d’une pleine d’emprisonnement de 3 jours de prison par PV.11,13 Les prostituées incarcérées risquent de voir leur famille découvrir leur activité et leurs enfants leur être enlevés par la DDASS. Certaines sources parlent d’une menace dès février.1,6

« La colère monte encore d’un cran lorsque plusieurs prostituées reçoivent des rappels d’impôt basés sur une évaluation sommaire de leurs revenus »6. Rappels sur quatre ans + majoration pour défaut de déclaration. Les sommes sont entre 30,000 et 80,000 F.13

Rencontre de Barbara et de Ulla dans les locaux du Nid. Elles étudient ensemble les lois françaises sur la prostitution. À dix jours de l’émission « Les dossiers de l’écran », des militants du Nid la poussent à tenter de s’y faire inviter. Elle y arrive après de multiples appels au télédiffuseur. Elle convoque une assemblée des femmes prostituée (ses jours précis diffèrent ici des autres sources)16.


23 avril : première réunion du « Collectif des femmes prostituées ». 68 femmes prostituées dans les locaux de la maison d’édition Chronique sociale, en présence de quelques bénévoles du Nid. Ulla explique les lois actuelles et l’abus d’interprétation. Maître Boyer, avocat et prêtre jésuite, se propose pour les défendre juridiquement. Ses honoraires sont payés au chapeau12,13.

28 avril : 2e réunion du Collectif, avec plus de cent femmes présentes13. Rédaction d’une lettre pour solliciter un rendez-vous avec le préfet du Rhône.10

Lettre du responsable de section du Nid à Lyon au Préfet, signé par 3 femmes prostituées de Lyon

MOUVEMENT DU NID

Section de Lyon
Monsieur le Préfet délégué pour la police à Lyon
Monsieur le Préfet

Des jeunes femmes vivant la prostitution et le Mouvement du Nid ont mis leurs réflexions en commun, et se sont interrogées sur les conditions dans lesquelles s’exerce actuellement la prostitution sur Lyon.

Nous nous sommes mis d’accord pour une démarche auprès de vous, pour défendre les libertés individuelles lorsqu’elles sont bafouées, pour réagir lorsqu’il y a atteinte à la dignité de la personne, pour dénoncer l’hypocrisie d’une société qui condamne d’une main ce qu’elle favorise et encourage de l’autre, pour demander que la sécurité de toute personne soit assurée ou que sa vie privée soit respectée, et pour dénoncer l’exploitation de l’homme par l’homme, quelle que soit la forme d’exploitation.

C’est dans cette optique que nous vous demandons de bien vouloir recevoir une délégation composée de cinq jeunes femmes prostituées et de cinq militants du Mouvement du Nid, afin d’aborder, sur la base de ce qui se vit à Lyon, les questions suivantes :

  1. Où conduit la politique actuelle de la répression, avec
    – détention arbitraire,
    – des amendes multiples dans la même soirée, par des brigades différentes, et qui entraînent des peines de prison,
    – des amendes injustifiées mises aux personnes lorsqu’elles effectuent leurs achats chez des commerçants, lorsqu’elles sont en compagnie des militants du Mouvement du Nid, etc.
    Oublierait-on que la prostituée n’est pas une délinquante ?
    – l’application d’une imposition sur des bases inconcevables. Oublierait-on la définition du proxénétisme ?
  2. La personne prostituée ne mérite-t-elle pas d’être protégée comme n’importe quel citoyen ? Des faits récents sembleraient indiquer que la police n’est pas consciente du climat d’insécurité dans lequel vit aujourd’hui une prostituée.
  3. Ne peut-on pas modifier l’attitude de quelques policiers, soit dans la rue, soit dans les locaux de la police, vis-à-vis des personnes prostituées ? Il est dommage que l’attitude de la brigade des moeurs, qui paraît irréprochable, ne soit pas contagieuse.
  4. La police a-t-elle la possibilité de garantir le respect de la vie privée des personnes qui font l’objet d’un compte rendu dans la presse (nom et adresse) alors qu’elles n’ont commis aucun délit ?

D’autres questions pourront d’ailleurs être soulevées au cours de cette entrevue que nous sollicitons.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Préfet, l’expression de nos salutations distinguées.

Une délégation de femmes prostituées de Lyon (3 signatures)

A. BISSARDON
Responsable de la section du Nid à Lyon

P. S. — Serait-il possible d’avoir un délai d’une dizaine de jours afin de pouvoir convoquer les différentes personnes concernées ?13

29 avril : Ulla est désignée pour participer à l’émission Les dossiers de l’écran en compagnie de André-Marie Talvas, fondateur du Nid, et deux autres femmes « réinsérées ». Le programme diffuse Les Compagnes de la nuit (Ralph Habib, 1953).

« Aujourd’hui, le souteneur, c’est l’État. L’État à qui la profession verse 150 milliards par an, par les procès verbaux. Et bientôt par les impôts » affirme Ulla19.

« L’impact sera inattendu. Le grand public ne comprendra pas et sera choqué par cette putain qui ose penser et parler. Mais toutes les prostituées de France ont entendu Ulla ; l’émission jouera un rôle de catalyseur, […] »1.

« Pour la première fois, publiquement, des filles s’exprimaient et appelaient un chat un chat et le trottoir un lieu de travail. Stupéfaits, les Français apprenaient du même coup que l’État, fermant les yeux tout en ouvrant ses caisses, était le premier proxénète et que la police et la justice, si elles disposaient de moyens modestes, ne frappaient jamais ni assez fort ni assez haut. »17

Les deux autres femmes invitées, une « brune » et une « ronde » plus silencieuse, ne partagent pas la vision militante de Ulla et Talvas. Retirée et mariée au moment de cette interview, Madame X s’étend elle aussi sur son quotidien, sa mise sur le trottoir pour un ancien petit ami, ce qu’elle a vécu dans une maison close, les violences des proxénètes, l’hôpital psychiatrique, etc.19

Un groupe de 28 citoyens lyonnais demandent à être emprisonnés pour avoir eu, de façon répétée, des attitudes de nature à provoquer la débauche.20

Mai

2 mai : agression de Sandra par Jean Bughla17.

6 mai : Réponse à la lettre envoyée au Préfet, par son chef de cabinet. Il accepte de recevoir les militants du Nid, mais pas les prostituées déléguées. Le Nid refuse.10,13

12 mai : meeting au palais de la Bourse « Prostitution et condition féminine » organisé par l’Association pour l’année internationale de la femme. Une délégation de quelques femmes du Collectif y prennent la parole13.

15 mai : Conférence de presse avec le Nid dans les locaux de Chronique Sociale. Premières dénonciations et revendications formulées dans les médias : amendes répétées, « attitude de nature à provoquer la débauche » parfois réduit à des sourires aux passants, multiples PV dressés les mêmes jours, dont on ne leur remet pas toujours copie, puis les peines de prison, car une d’entre elles a reçu quelques jours auparavant un avis pour être incarcérée le lundi pour récidive. Demande du droit à la sécurité, la protection contre les agressions et dénoncent les assassinats impunis.13 Selon Ulla, il n’y aura que 3 ou 4 journalistes16.

22 mai

Trois premières peines de prison envers les prostituées : 15 jours et 2,400 F d’amende.1,13 On les informe qu’elles doivent se rendre à la prison de Montluc pour y être incarcérées le lundi 26 mai16. Il est alors convenu qu’elles vont se cacher et refuser de s’y rendre.

23 mai, dans Libération : « Nous ne recommencerons pas des actions comme les manifestations qui ne servent qu’à faire rire de nous. Mais, même de façon tragique, nous saurons faire front ! »6

26 mai

Sans rien connaître de l’organisation des Lyonnaises, des Montpelliéraines rédigent une lettre à Simone Veil afin qu’elle intercède pour leur situation

Lettre des déléguées montpelliéraines à la Ministre de la santé Simone Veil.

Montpellier, le 26 mai 1975

Madame le ministre,
Je viens solliciter votre haute bienveillance pour notre requête qui est la suivante : Monsieur l’inspecteur des impôts nous a fait part d’un certain décret dans lequel il est mentionné que notre « profession » était imposable avec un rétroactif de quatre années, ce qui équivaut pour nous à des rappels fabuleux. Nous jugeons cette poursuite contraire à la loi… Donc en conséquence : si cette imposition sur notre revenu devient une obligation, nous sollicitons les mêmes avantages que les ouvriers (SS, Retraite) et l’enlèvement des contraventions que la police des mœurs nous impute lors de leurs rafles. Ou c’est l’un, ou c’est l’autre, mais pas les deux à la fois […]
Madame le ministre, souhaitant avoir une audience, auprès de vous, pour nous expliquer de vive voix, nous serions heureuses de pouvoir le faire sans abuser de votre bonté et de votre temps. Dans l’attente de votre réponse favorable, je vous prie de croire, Madame le ministre, à notre profond respect.

La déléguée.

28 mai

Nouvelle tentative du Nid auprès du préfet délégué pour la police à Lyon. On lui achemine le dossier de presse

29 mai
Réponse du préfet par voie de courrier

Le Préfet délégué pour la police à Lyon

Lyon, le 29 mai 1975

Monsieur,

J’avais effectivement eu connaissance des documents remis à la presse par « le collectif de personnes prostituées » et notamment de la déclaration en huit points de l’Association le Nid.

La lecture de ce deuxième document me confirme dans l’impression, qui était la mienne, qu’une rencontre entre l’association et moi-même pouvait être utile, ne fût-ce que pour apporter réponse à certaines données, ou réfuter certaines affirmations dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont inacceptables dans leur formulation parce qu’injurieuses pour l’Etat que je représente et pour la Police que je dirige. J’ajoute que j’ai été surpris de ne rien trouver dans ce document qui fasse référence à la lutte indispensable contre les souteneurs et à l’importance de la dîme que prélèvent les proxénètes.

S’il vous est apparu gênant de parler avec moi hors la présence des personnes prostituées, de la mission l’association, c’est sans doute parce que vous acceptez a priori, une sorte de contrôle de ces personnes sur votre association. Ce n’est évidemment pas comme cela que conçois votre rôle et c’est ce que je souhaitais aussi discuter avec vous. Je regrette encore que vous ne l’ayez pas compris.

Quand à la réception des personnes prostituées, je précise que je ne me refuse, par principe, à aucun dialogue, mais que nul ne peut me contester le droit de choisir le moment opportun ou le niveau auquel cette concertation pourrait se développer, ni celui d’apprécier la représentativité de mes interlocuteurs.

Il est bien évident du reste que je ne puis prendre pour argent comptant les déclarations faites à la presse écrite ou parlée et dont beaucoup sont outrancières, inexactes ou tendancieuses. Je me réserve donc de faire, quand je le jugerai utile et par la même voie, les rectifications qui s’avèreraient nécessaires pour une information objective et sérieuse de l’opinion publique. Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

Paul NOIROT-COSSON

29 mai ou 30 mai : nouvelle réunion et décision d’occuper une église.10,13 Plus de 100 femmes sont présentes. Il avait aussi été évoqué d’occuper la préfecture, l’Hôtel de Ville ou la cathédrale, mais les alliés les en ont découragé. L’église Saint-Bonaventure se trouve dans un quartier commerçant, plus passant et près du quartier de prostitution.

31 mai

Dernière réunion au local du mouvement lyonnais d’action non violente. Des piquets de grève sont prévus pour empêcher celles qui voudraient tout de même travailler de pouvoir le faire.

Lettre du président national du Nid au garde des sceaux

MOUVEMENT DU NID
Le 31 mai 1975
Monsieur le garde des sceaux,

Suite à l’entretien téléphonique de M. Louis Bour, Président honoraire du Mouvement du Nid, et de votre chef de cabinet, nous nous permettons de vous alerter sur une situation dramatique vécue en ce moment par les personnes prostituées à Lyon. […]
Devant cette politique de répression à l’égard des principales victimes du système prostitutionnel, nous avons recherché depuis deux ans le dialogue avec des responsables à tous niveaux afin de présenter les buts recherchés par notre Mouvement et dénoncer tout ce qui va à l’encontre de la promotion de la personne et notamment l’escalade dans cette répression.

Nous avons notamment rencontré sur un plan national Mme Françoise Giroud en janvier 1975 et, sur un plan plus spécifiquement lyonnais, des représentants de la magistrature de l’ordre des avocats, de la police, du tribunal de police et de la trésorerie générale au mois d’avril 1974. Plus récemment et alors que les premières peines de prisons pour récidive étaient signifiées, nous avons demandé à Monsieur le Préfet délégué à la police de Lyon de bien vouloir recevoir une déléguation représentative des personnes prostituées de Lyon et du Mouvement du Nid. N’ayant pas été admises à être entendues, les personnes prostituées tentent par d’autres moyens d’alerter les pouvoirs publics et l’opinion, car elles refusent d’aller en prison.

Dans cette impasse sur le plan lyonnais, le Mouvement du Nid est cependant plein d’espoir à la suite des déclarations relatives aux séjours en prison que vous avez faites lors de la présentation du projet de loi réformant le code pénal.

Afin d’aborder avec vous, non seulement le problème de la répression à l’égard des personnes prostituées, mais également tous ceux qui dépendent de votre ministère et qui concernent les personnes, qu’elles soient prostituées ou anciennes prostituées, nous vous demandons de bien vouloir accorder une audience à une délégation de notre Mouvement assistée de deux avocats qui travaillent avec nous depuis longtemps. […]

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le garde des sceaux, l’expression de notre haute considération.
Le Président national du Mouvement du Nid,
Michel DE VERCLOS

Tentative de contact des ministères sans succès.1

L’idée d’occuper Saint-Nizier est attribuée à Christian Delorme ou à Claude Jaget, selon les sources12.

Juin

Photo de Saint-Nizier avec la banderole « Nos enfants ne veulent pas leur mère en prison ».
2 juin

Au départ, le rendez-vous est fixé devant le Grand Bazar à 10h, face à l’Église Bonaventure (maintenant basilique). Les journalistes locaux de confiance acceptent de coopérer et de se garer devant Saint-Bonaventure, mais il s’agit d’une ruse pour tromper les policiers. Une foule de curieux et des policiers sont sur place. Les femmes ont reçu l’instruction d’arriver par petits groupes de 2 ou 3, puis quelques femmes et les militants du Nid les redirigent depuis les rues adjacentes à 500 m vers l’église Saint-Nizier pendant que Barbara crée diversion devant Saint-Bonaventure.6,7,13 Entre 100 et 150 femmes y pénètrent avant que les policiers ne découvrent le stratagème.1

Pourquoi Saint-Nizier ? La prostitution lyonnaise s’exerçait à l’époque en plein dans ce quartier. Certaines prostituées venaient y prier à une statue de Saint-Expedit6,7. L’évêque auxiliaire est un ancien aumonier du Nid, ce qui a facilité la collaboration de l’Église.

À leur arrivée, Ulla s’adresse au père Béal : « Mon père, nous venons vous demander le droit d’asile. De jeunes femmes sont condamnées injustement à la prison. Le seul moyen de nous faire entendre en Haut-lieu, c’est de venir chez vous, sous votre protection. »16 Le père Béal accepte et indique qu’il n’entreprendra rien pour faire cesser l’occupation.

« La sacristie est aménagée en réfectoire, le bureau du prêtre en dortoir, ainsi que les nefs et les cryptes. »16

Distribution de la lettre à la population aux passants par les militants du Nid.

Ce sont des mères qui vous parlent. Des femmes qui essaient d’élever, seules, leurs enfants le mieux possible, et qui ont peur aujourd’hui de les perdre. Oui, nous sommes des prostituées, mais si nous nous prostituons, ce n’est pas parce que nous sommes des vicieuses : c’est le moyen que nous avons trouvé pour faire face aux problèmes de la vie.

La société a l’habitude de nous juger, et de nous rejeter dans un ghetto de mépris ou de pitié. Nous sommes considérés comme des femmes « sales », « anormales », et cependant les gens disent : « il en faut ».

Parce qu' »il en faut », la loi française n’interdit pas la prostitution et, en principe, nous sommes des citoyennes comme les autres. Mais parce que la société a honte de « nous vouloir », on nous traite comme des délinquantes, comme des êtres sur lesquels la police peut exercer tous les pouvoirs répressifs.

M. Poniatowski veut-il redorer le blason de la police lyonnaise éclaboussée par « l’affaire de Lyon » de 1972 (la découverte de policiers proxénète) ? Veut-il se faire élire maire dans une ville propre ? Veut-il nous acculer à demander la réouverture des maisons closes, source de revenus intéressants pour l’État ? Toujours est-il qu’il a ordonné à la police lyonnaise nous accablé de procès-verbaux (nous en avons trois ou quatre par jour, d’un montant de 160 F l’un : l’État n’est pas perdant), et même de nous jeter en prison.

Depuis quelques semaines, en effet, nous sommes les unes après les autres traînées devant les tribunaux de police de Lyon et de Villeurbanne pour y répondre de récidive à l’article R 34 du Code pénal, qui sanctionne « l’attitude de nature a provoquer la débauche ». Qu’est-ce qu’une telle « attitude » ? Qu’est-ce qu’une telle « débauche » ? Les juges sont bien incapables de répondre, et nous sommes condamnées à des peines de prison sous l’accusation ridicule d’avoir fait des sourires aux passants de sexe masculin !

Nous n’irons pas en prison pour cela ! Des femmes devraient être actuellement incarcérées : nous les avons soustraite à la police, et aujourd’hui, nous nous sommes réfugiées dans une église. Elles n’iront pas en prison ! aucune d’entre nous n’ira en prison ! Ou alors la police devra nous massacrer pour pouvoir nous y entraîner. Nous, nous lui opposerons une résistance passive.

Nous sommes les victimes d’une politique injuste. Nous ne vous demandons pas de défendre la prostitution, mais de comprendre qu’ils n’ont pas le droit de nous faire ce qu’ils nous font en ce moment. Personne n’a jamais pu changer de vie en recevant des coups de matraque.
Soyez avec nous contre l’injustice qui nous accable! Après nous pourrons discuter pour savoir si la société a besoin de la prostitution…

DANS L’IMMÉDIAT, NOUS EXIGEONS :

  • La suppression immédiate des peines de prison
    « nos enfants ne veulent pas leur mère en prison »
  • La fin de l’arbitraire en matière de procès-verbaux (plus d’amende parce qu’on sait que telle personne se livre à la prostitution)
  • Le respect des personnes, dans les attitudes, les actes, les paroles…

LE COLLECTIF D’ACTION des prostituées de Lyon

L’église Saint Nizier occupée par des prostituées : Depuis ce matin à Lyon, quatre-vingts prostituées occupent l’église Saint Nizier pour protester contre la répression exercée par la police dans l’exercice de leur métier. Reportage illustré par des images de prostituées allongées dans l’église et par les interviews du curé de la paroisse, d’une prostituée. – Archives INA,  2 juin 1975

Lettre des prostituées au Président de la République

Lyon, le 2 juin 1975,

Monsieur le Président de la République,

Nous sommes des femmes qui nous prostituons. Selon la loi, nous ne sommes pas des délinquantes : nous sommes des citoyennes comme les autres. Et cependant, aujourd’hui à Lyon, vos policiers nous chassent comme du gibier ! On nous accable de procès-verbaux sur des bases infondées (le seul fait que nous sommes connues comme prostituées suffit à ce que nous soyons poursuivies pour « attitudes de nature à provoquer la débauche ») et maintenant, on nous condamne à des peines de prison !

Pourquoi cela ? Que veut votre ministre de l’intérieur ? Faire de Lyon une ville « propre » pour effacer les séquelles de l’affaire de Lyon de 1972 ? (des policiers inculpés pour proxénétisme), ou pour pouvoir s’y présenter comme candidat à la mairie ? Nous acculer à demander la réouverture des « maisons closes », source de revenus intéressants pour les pouvoirs publics, ce qui semble encore plus probable ? Pour ce qui est de ce dernier point, il vaut mieux que nous vous le disions tout de suite, Monsieur le Président : JAMAIS NOUS N’IRONS DANS DES MAISONS CLOSES ! JAMAIS NOUS N’ACCEPTERONS D’ÊTRE DES « FONCTIONNAIRES DU SEXE », RAPPORTANT DE L’ARGENT AUX POUVOIRS PUBLICS !

Déjà actuellement, l’Etat est le plus grand proxénète qui puisse être. Tous ces procès-verbaux (nous en avons trois, quatre par jour, d’un montant de cent soixante francs l’un), et ces impôts que l’on nous demande aujourd’hui de payer en tant que « femmes entretenues » ou « dames de compagnie », qui donc en profite, en effet ? La société française que vous dites vouloir changer doit prendre ses responsabilités, Monsieur le Président.

Si elle continue à dire : « Il faut des prostituées », il n’est pas juste que les femmes qu’elle veut dans cet état soient traitées comme des criminelles, qu’elles soient matraquées, embastillées…

Depuis quelques semaines, nous nous voyons condamnées les unes après les autres à des peines de prison fermes, par les tribunaux de Lyon et de Villeurbanne, sous la seule accusation d’avoir fait des sourires aux passants de sexe masculin. Voilà comment, en une année proclamée « année internationale de la femme », on nous traite !

Vous êtes, avez-vous déclaré, le « Président de tous les Français ». Alors vous êtes aussi le Président des prostituées !

Aujourd’hui, nous nous sommes réfugiées dans une église du centre de Lyon, pour soustraire à l’action de la Police des femmes qui devraient être incarcérées. En tant que Magistrat suprême, nous vous demandons de faire surseoir aux poursuites dont nous sommes les victimes ! Autrement, la police devra nous massacrer dans l’église. AUCUNE D’ENTRE NOUS N’IRA EN PRISON, MONSIEUR LE PRÉSIDENT !

Dans l’attente d’une juste réaction de votre part, nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, à l’assurance de notre respectueuse considération.

Les femmes « prostituées » de Lyon

Barbara est mandatée pour prévenir de la grève les femmes des boulevards de ceinture, moins bien considérées. Une autre femme la remplace le lendemain.13

Rédaction d’une lettre de demande de soutien au cardinal Renard, évêque de Lyon.13

« Des gens seront peut-être choqués et peut-être le serez-vous aussi, mais des chrétiens peuvent-ils penser qu’il y a des femmes « sales » et qu’une église ne saurait servir de refuge à des prostituées ? » Elles citent Saint Luc et la parabole de Marie-Madeleine19.

Le Collectif des femmes prostituées de Lyon demande « en cette année de la femme » une entrevue auprès de Mme Françoise Giroud, secrétaire d’État à la condition féminine, se plaignent essentiellement des conséquences de l’article R 34 du code pénal qui sanctionne « l’attitude de nature à provoquer la débauche «, qui les condamne a une amende de 150 F à laquelle s’ajoutent 10 F de frais. S’il y a récidive de cette infraction dans la même année et dans le ressort du même tribunal, elles peuvent alors être frappées de quinze jours de prison et de 2 400 F d’amende. Selon les manifestantes, déjà 30 d’entre elles ont été condamnées cette année à de la prison et trois sont en fuite en vue d’échapper à leur peine19.

Françoise Giroud refuse de recevoir les prostituées : « Ce n’est pas de ma compétence, mais de celle du ministre de l’intérieur »13

Le préfet délégué à la police, M. Noirot-Cosson, déclare « Le mouvement n’ira pas loin. On en voit bien les tenants et les aboutissants, étant données les organisations qui le soutiennent. Mais je n’ai pas l’intention de prendre position, pas plus que de modifier l’attitude de la police envers ces personnes. Quant à ce qui est de les accepter dans une église, c’est l’affaire de la paroisse concernée. La police n’a pas l’intention de faire procéder à une évacuation. »19

Déclaration de soutien du Cardinal Renard, archevêque de Lyon se dit : « conscient des situations douloureuses et regrettables dans lesquelles se trouvent ces personnes, et en accord avec le mouvement du Nid pour vouloir l’abolition effective de la prostitution par une action positive sur toutes les causes : politiques, économiques, sociales, affectives. Une église est un lieu de prière, non une tribune publique. Mais nous devons tous nous poser une question : Pourquoi ces femmes, dont la plupart sont des maman, en sont arrivées là ? »13,19

À Montpellier, Chantal et ses collègues apprennent l’occupation de Saint-Nizier vers 15h par un passant. A 16h, elles entrent dans la cathédrale Saint-Pierre pour que le curé les aide à trouver le numéro de téléphone de l’église. Elles appellent de suite. À A 20h, la voiture démarre avec à bord Chantal, Valérie Jo et Claudie. Elles arrivent à minuit.

3 juin

Une délégation de quatre femmes de Montpellier arrive peu après minuit en voiture. Elles décrivent une église très froide et des femmes entassées à même le sol, ce qui leur donne envie de pleurer. Elles ne dormiront pas de la nuit – évoquant les expériences de plusieurs dans les maisons closes et d’abattage ou les bordels militaires en Algérie. Elles se racontent leurs enfants et la peur de les perdre.18

Les commerçants et des femmes du voisinage apportent à l’église du café, du pain, du beurre, des croissants et des brassées de fleurs. On leur apporte de la nourriture et même des fraises, des films, des livres et on leur propose même des groupes de musique. Certains passants sont plus hostiles et dénoncent la présence des prostituées dans l’église ou demandent la réouverture des maisons de tolérance. Elles reçoivent aussi des appels de menace.13

Des femmes les rejoignent de Grenoble, Paris, Marseille et Saint-Étienne, apportant avec elles vivres et cigarettes. Les femmes plus âgées sont décrites comme rassurantes et maternantes pour le collectif. Elles racontent leur vécu et contribuent à maintenir le calme.18,13Une banderole est accrochée devant Saint-Nizier « Nos enfants ne veulent pas leur mère en prison ». Une autre « Les prostituées de Lyon sont réfugiées dans cette église ».

Sonia donne plus de détails sur la déclaration du cardinal Renard17.
  • M. le curé de Saint-Nizier s’est trouvé en présence d’un fait accompli : l’occupation de l’église. Tout en le regrettant il a eu, devant des personnes, une attitude de pasteur selon l’Évangile ; nous ne pouvons que l’approuver.
  • La prostitution est une tare grave de la société. Il n’est pas question de la justifier. Ne serait-ce pas une hypocrisie d’en faire retomber toutes les conséquences sur celles qui en sont aussi les victimes ?
  • De telles situations humaines peuvent mener à des manifestations qui expriment une vraie détresse. Le Christ ne nous invite-t-il pas à l’entendre ?
  • Le problème est, pour tous, de chercher les moyens d’agir sur les causes multiples qui conduisent à la prostitution.
Articles dans Libération, 3 juin
Libération, 3 juin 1975
Libération, 3 juin 1975
4 juin

Il y a 170 femmes dans l’église. Arrivée de journalistes étrangers, des féministes ainsi que de la presse de gauche et d’extrême-gauche.13

Une cinquantaine de femmes de Marseille viennent leur apporter leur soutien dans l’église.13 Le Monde affirme plutôt que ce sont quelques dizaines de leurs collègues de Marseille, Montpellier et Saint-Etienne qui sont venues les renforcer.19

La presse écrit que les femmes prostituées auraient été reçues par Mme Nicole Pasquier, déléguée à la condition féminine de la région Rhône-Alpes, et par Mme Ruby, vice présidente du Conseil général du Rhône, ce que dément Barbara. Mme Pasquier aurait reçu les représentants du Nid uniquement. Ils ont ensuite été reçus par Mme Ruby, vice-présidente du conseil général du Rhône.13,19

Articles dans Libération, 4 juin
Libération, 4 juin 1975
Libération, 4 juin 1975
Libération 4 juin 1975
5 juin

Assemblée générale des femmes de Saint-Nizier au petit matin. Il y a deux cent quatre femmes dans l’église.

Dix nouvelles femmes sont condamnées à des peines de prison.

Arrivée d’une délégation de femmes de Paris, apportant une lettre de soutien signée de 47 prostituées parisiennes

« Nous venons vous informer que nos voix et nos cris indignés par le régime policier viennent se joindre au mouvement de lutte organisé par nos consœurs de Lyon. Vous, amies de tous quartiers, qui en avez par-dessus la tête de vous faire passer de nombreuses amendes reconnues par le gouvernement et ses chefs, de vous faire insulter lors des contrôles de police, de prendre des coups, de subir des menaces, d’être complètement sur le qui-vive jour et nuit, d’avoir une perpétuelle angoisse, même au moment où vous faites vos courses pour vous et vos enfants. Nous le proclamons bien haut, nous faisons un travail et non un acte de débauche. Une fois fini ce travail nous retournons au travail et à la cuisine. Nous demandons que finisse le temps des coups. »3

Des femmes de Grenoble ont annoncé leur soutien et envoyé 2000 F pour soutenir les grévistes.

Dix-sept femmes de Saint-Étienne se sont mises en grève par solidarité17. Les femmes de Nice annoncent qu’elles débrayeront pendant la durée du week-end. Arrivée de délégations de Toulouse, Nîmes, Avignon, Marseille.19

Revendications des prostituées de Nice17
  • Réouverture des hôtels meublés pour parer aux risques d’agressions encourus à domicile
  • Réduction des amendes et du forfait fiscal
  • Bénéficier de la sécurité sociale
Rencontre de Ulla, le cardinal Renard et le maire Louis Pradel.13 Ce dernier aurait déclaré : « un seul remède efficace contre la prostitution : couper le zizi des Français. »17 Il se dit d’accord pour les aider, à condition qu’elles quittent d’abord l’église Saint-Nizier.

« Nous sommes tous des hypocrites dans ce domaine. Si l’on veut supprimer la prostitution en France, il faut couper le « zizi  » à tous les Français. Je suis, bien entendu, contre toutes les formes de proxénétisme, mais il faudra à tout le moins attribuer un statut social de la prostituée.

La police dépend du préfet de police qui, lui-même, ne fait qu’appliquer la loi. Que cette loi en la matière soit mal faite, j’en suis convaincu, mais les catholiques ont besoin de leur église et il s’agit d’examiner dans quelles conditions humaines il serait possible de régler rapidement le problème de ces femmes. »19

Il se dit d’accord pour intercéder afin que leur soit évitée la prison, quoi qu’elles aient fait dans le strict exercice de leur profession. « Partez, et je vous aide aussitôt. » À quoi, au nom de ses compagnes, Ulla a répondu : aidez-nous, et nous partons aussitôt. »

Réunion en soirée et rédaction d’une deuxième lettre à la population

Eh bien, oui ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est au nom de l’application intégrale de la loi française actuelle que nous demandons à sortir de notre lieu d’asile.

Pour la première fois enfin, nous avons pu nous faire entendre d’une grande partie de l’opinion publique. Des témoignages de soutien ne cessent de nous arriver, des femmes prostituées d’autres villes de France nous rejoignent : tout cela nous permet de continuer notre action dans la dignité.

Plus rien, désormais, ne peut nous intimider. Le mouvement s’avère irréversible, nous sommes à un tournant dans l’histoire dé la prostitution, et pour sortir de l’église, nous ne plierons sous aucun chantage !

Nos revendications immédiates s’appuient ni plus ni moins sur la législation française, qui n’est pas respectée par les pouvoirs publics pour ce qui nous concerne. La loi, en effet, dit :

1. — La prostitution ne constitue pas un délit.

Alors pourquoi la prison pour celles qui s’y livrent ? Nous ne le répéterons jamais assez, mais pour la plupart, nous sommes avant tout des mères, et nos enfants ne nous veulent pas en prison ! Le tandem approbation de la prostitution/répression doit prendre fin. Ceux qui finalement sont « pour » la prostitution n’ont pas le droit de vouloir, en même temps, que les femmes prostituées de toute une ville soient sanctionnées pour sauver la façade de moralité publique ! Nous réclamons donc au Garde des Sceaux ou à ses représentants, la ferme assurance que nous ne serons plus condamnées arbitrairement à des peines de prison.

2. — Sont passibles d’amendes les personnes ayant des attitudes de nature à provoquer la débauche. Nous ne nions pas à la police le droit de verbaliser de telles attitudes. Mais encore conviendrait-il que celles-ci soient dûment définies, et que l’on cesse de lier prostitution à débauche, la prostitution, encore une fois, n’étant pas un délit ! Nous exigeons, par conséquent, qu’on ne nous pénalise plus pour de simples sourires aux passants, et que chaque infraction que l’on pourrait nous reprocher nous soit clairement signifiée, accompagnée d’un contrôle d’identité légal.

3. — Aucune discrimination ne doit frapper les personnes prostituées. C’est pourquoi nous revendiquons le droit au même respect que celui qui entoure tout autre citoyen.

4. — Les maisons closes sont supprimées. Il n’est par conséquent pas question qu’elles soient de nouveau ouvertes, sous forme d’éros-centers ou autres. Ainsi que nous l’avons écrit au Président de la République, jamais nous n’accepterons de devenir des fonctionnaires du sexe, à la liberté limitée !

5. — Sont prévus des dispositifs favorables à la réinsertion des femmes désirant quitter librement la prostitution. L’expérience témoigne, pourtant, que cette réinsertion est rendue très difficile. Nous dénonçons donc ouvertement la non-application de ces textes (Ordonnances de 1960).

Au nom de la loi, laissez sortir de l’église Saint-Nizier les femmes que nous sommes, et qui resteront à jamais le symbole de notre libération à toutes !

Fait en l’Église de Saint-Nizier à Lyon, le 5 juin 1975

Une envoyée du mouvement pour le droit des femmes arrive de Paris. [qui ?] Les prostituées déclarent : « Nous remercions ceux qui nous aident, mais nous tenons à ce qu’on sache que nous sommes assez grandes pour mener notre affaire. Assistées, oui ; noyautées, non ! »19

Les marseillaises et les montpelliéraines repartent avec l’intention d’occuper une église16,18. À Montpellier, elles découvrent que des collègues ont été mises en GAV en tentant de prendre le train pour les rejoindre à Lyon18.

Articles dans Libération, 5 juin
Libération 4 juin 1975
Libération, 5 juin 1975
Libération, 5 juin 1975
6 juin
Françoise Giroud déclare à la radio : « Comment pourrais-je être le ministre des femmes ? Vous imaginez que quelqu’un pourrait être le ministre des hommes ?

Il y a vingt-six millions de femmes en France. Il reste vrai que tous les problèmes féminins convergent sur moi, y compris, en dernier lieu, celui que vous avez évoqué : celui des prostituées de Lyon. Je n’en ai pas parlé. Je ne souhaite pas en parler.

Je voudrais seulement vous dire que je crois qu’il faut avoir pour tous les êtres humains de la considération, et que j’en ai pour les prostituées, comme pour les autres femmes, comme pour les autres hommes. Vraiment, vraiment ; d’ailleurs, n’est-ce pas à propos de l’une d’elles que le Christ a dit : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ? »

Mais encore une fois les problèmes qu’elles évoquent et qui sont ceux – si j’ose, dire – de leurs conditions de travail, ce sont des problèmes qui ressortissent du ministre de l’Intérieur, et je ne veux pas – qu’il s’agisse des prostituées ou de tout autres questions – que chaque fois qu’une femme est en question, on en appelle à moi. Ce n’est pas normal. Ce n’est pas ma fonction. »

Lyon – église de Saint-Nizier

«  elles sont 100 le premier jour et 400  le 4ème jour »2

Au début, les femmes laissaient entrer les personnes souhaitant venir prier, mais après quelques jours, elles restreignent l’entrée aux militant·es du Nid et aux journalistes16. Un « Collectif des silencieux de l’Église » menace de déloger les prostituées pour rendre l’église au culte, sans s’exécuter.19

Arrivée de Carole Roussopoulos avec une équipe et du matériel de captation vidéo (Sony Portapak). Les prostituées qui le souhaitent parlent devant la caméra et décident avec l’équipe de ce qui doit être coupé. Les bandes montées sont ensuite diffusées sur des postes télé à l’extérieur.

Interview de Ulla sur RTL : « On ne peut plus reculer, ce n’est plus possible. […] Nous irons vraiment jusqu’au bout. » Elle décrit le climat dans lequel se déroule l’occupation de l’église. À la question « Qu’est-ce qui pourrait débloquer la situation ? » elle répond « La suppression immédiate des peines de prison qui ont été ou qui vont être appliquées et une entrevue avec Mme Françoise Giroud, peut-être Simone Veil, qui prendrait ses responsabilités elle-même, puisque Françoise Giroud se défile, et M. Poniatowski. »19

Ulla déclare avoir téléphoné au ministère de l’Intérieur et au ministère de la Justice pour demander l’ouverture d’un dialogue.19

Une association de cinéma de la Croix-Rousse, Le Canut, vient projeter des films. Des musiciens sont venus jouer de la musique et apporter des percussions pour que les femmes puissent jouer et se divertir. Une fête dansante a eu lieu dans l’une des deux sacristie (date incertaine)13.

Nouvelles sollicitations à des ministères qui se refilent la balle. Les femmes décident de demander la médiation de Simone Veil, ministre de la santé au moment de la récente victoire sur l’IVG.

Prise de position de l’archevêque de Marseille et de la Ligue du droit des femmes en soutient au mouvement

À Saint-Nizier. Chant des prostituées occupant l’église.
Autrice inconnue, interprétation contemporaine a capella par Mirah
À Saint-Nizier. Chant des prostituées occupant l’église, Lyon, juin 1975.
Bm Lyon, Chomarat Ms 0709

I
Quand nous occupons les églises,
Ça te scandalise,
Grenouille de bénitier!
Toi qui nous promettais le diable
Nous venons manger à ta table,
A SAINT-NIZIER.
II
«Tu as beau invoquer la Vierge,
Brûler tous tes cierges
et crier au péché !
Pour quelques-uns qui nous méprisent,
Combien d’autres nous ont comprises
A SAINT-NIZIER.
III
Durant des siècles de silence
et d’intolérance,
Nous étions habituées
à être traitées comme des bêtes!
Nous avons relevé la tête
A SAINT-NIZIER.
IV
En utilisant leurs matraques
Les flics à Chirac,
Ponia, Lecanuet,
Ont cru gagner une bataille !
Il ont fait une erreur de taille
A SAINT-NIZIER.
V
Nul ne peut plus nous faire taire !
De toute manière,
Nous voulions arracher
le droit d’être ce que nous sommes,
Femmes, et non pas bêtes de somme
A SAINT-NIZIER.

Source : Bm Lyon, Chomarat Ms 0709

Articles dans Libération, 6 juin
Une de Libération, 6 juin 1975
Libération, 6 juin 1975

Une femme est évacuée de l’église pour une angine qui s’aggrave16.

Paris – chapelle Saint-Bernard de Montparnasse

Après une grande hésitation sur le choix de l’église16, un groupe de femmes et de prostitués travestis occupe la chapelle Saint-Bernard. Simone de Beauvoir leur rend visite et le Planning familial les appuie6.

Un mot d’ordre circule d’occuper la chapelle Saint-Bernard. Sonia y rejoint « une cinquantaine de filles […] avec quelques travestis. » Elle met en place un centre de presse sur une table de la sacristie. Elles rédigent des slogans :

  • Prostituées, les femmes le sont toutes
  • Prostituées de tous pays, unissez-vous
  • Un homme est toujours le proxo de quelqu’un

Elles ouvrent un livre d’or qui accueillera 130 pages de signatures dont celles d’Arletty et de Simone de Beauvoir17.

Marseille – Église Saint-Vincent de paul

Une centaine de prostituées8 occupe une église des Réformés13 en haut de la Canebière6. L’occupation commence à 9h. Elles expliquent que le fisc leur établit un forfait sur la base de gains allant de 500 à 1 000 francs par jour, suivant les quartiers, et que les impositions s’échelonnent entre 120 000 et 260 000 francs par an.

« Nous avons l’intention de rester ici jour et nuit tant que nos revendications ne seront pas satisfaites »

Le Rassemblement des silencieux de l’Église réagit : « L’occupation d’un lieu saint ne serait acceptable que dans la mesure où les prostituées auraient décidé de sortir de leur condition et de mener une vie en conformité parfaite avec les enseignements du Christ, à l’image de Marie-Magdeleine. Mais tel ne semble pas être le cas. Le problème de la prostitution doit être traité d’une manière urgente, sans hypocrisie et sans faiblesse. Mais il concerne avant tout les pouvoirs publics. »19

Grenoble – Église Saint-Joseph

Une dizaine6 ou une cinquantaine13 de prostituées occupe l’église.

Montpellier – Église Saint-Denis

Une douzaine de femmes dans l’église Saint-Denis avec des vivres, des cigarettes, des couvertures et un poste de télévision. Au moment de la fermeture, elles refusent de partir. Le prêtre les installe à contrecœur dans la salle de catéchisme. Elles assistent à tous les offices pour être visibles.18

D’autres occupations ou mouvements sont mentionnés à Toulouse et Cannes.

7 juin
Articles dans Libération, 7 juin
Libération, 7 juin 1975
Une de Libération, 10 juin 1975
Libération, 10 juin 1975
Libération, 10 juin 1975
Lyon – Saint-Nizier
Comité d’action des femmes prostituées de Lyon

Les femmes prostituées de Lyon s’adressent à la population

Nous avons demandé à l’état de nous entendre en tant que femme. Poniatowski nous répond à coups de matraques, nous prend notre argent, nous met en prison, nous insulte, nous frappe, nous sort de force des églises pour nous mettre de force dans les maisons closes, et nous retire nos enfants.

Il refuse de nous voir en tant que femmes.

Il ne nous accepte que comme usine du sexe.

Il parle de proxénétisme, mais il prend notre argent, et reste en liberté !

Alors nous disons :

NON aux proxénétisme,
NON aux maisons closes,
NON à la répression policière,
NON aux peines de prison.

OUI à la justice
OUI pour être des femmes à part entière.

Plus unies que jamais dans la dignité, pour la création des Etats Généraux des femmes prostituées, nous nous regroupons dans la lutte!5

« maintenant c’est une affaire de femmes … » 7 juin 1975

On ne quittera pas les lieux, moins que jamais. Nous relevons la tête, nous montrons que nous ne sommes pas du bétail. Nous sommes des femmes comme toutes les femmes… Nous avons informé les ministères de l’Intérieur, de la Santé, de la Justice. Ils ne veulent pas entendre nos revendications… nous sommes trois mille femmes au bord de la révolte, pas seulement dans les églises mais dans la rue, pas seulement à Lyon, mais à Marseille, à Montpellier, à Grenoble, à Paris… Ce n’est pas seulement une question de prostitution, c’est une question de femme, contrairement à ce qu’a dit Françoise Giroud. Actuellement, les femmes ne peuvent plus supporter la ségrégation entre les femmes et les hommes.
Ce sont des hommes au gouvernement qui ont pris deux femmes avec eux pour nous faire miroiter : « vous voyez, maintenant, il y a des femmes au gouvernement, vous pouvez vous faire entendre. »
En réalité, maintenant, on a un problême de femmes, on s’adresse à ces femmes et toutes les deux se défilent. Françoise Giroud nous renvoie dans les mains d’un homme qui est un policier.
Françoise Giroud, n’en parlons plus. Est-ce qu’elle est un homme, est-ce qu’elle est une femme, elle ne sait plus très bien où elle en est…
Le ministère de la Justice était le seul à nous avoir donné un espoir relatif. Nous l’avons rappelé ce matin. On a eu le remplaçant du chef de cabinet. Il n’a rien inventé en disant que le recours en grâce est suspensif des condamnations, et que ça ne concernait que neuf jeunes femmes, alors que, actuellement, on est des milliers. Il a dit aussi que, à Lyon, la loi sur la récidive avait été appliquée de façon illégale, c’est-à-dire sur des procès verbaux, au lieu d’être sur des condamnations, c’est encore du ressort de la police. Le remplaçant du chef de cabinet, il répondait à côté de la question. Quand nous l’avons acculé en lui demandant de transmettre notre demande au ministre, il s’est permis de nous raccrocher au nez parce qu’il sentait qu’il était incapable de répondre, il avait peur de soulever un couvercle et peut-être de trouver des gens de sa condition dans la marmite. Si le gouvernement employait la loi anti-casseurs, nous supporterions passivement, nous sommes des femmes, des mères de familles. Il y en a qui sont gravement malades, les médecins sont venus ce matin et il y aurait peut-être une déclaration officielle à faire, elles auraient un besoin urgent d’être hospitalisées, il y en a une qui est cardiaque, elles se refusent pourtant à quitter l’église. Si les pouvoirs publics veulent employer la loi anti-casseurs qu’ils ne se gênent pas. Des femmes les attendent à mains nues et se feront casser la tête par les pouvoirs publics.
Leur réponse, maintenant, on s’en moque, on en n’a plus besoin, ce sont des femmes qui vont agir, ils nous ont ignorées. On va leur montrer ce dont est capable un mouvement collectif et complètement national de femmes.
Quand on se rend compte que le monde entier est venu se pencher sur ce problème, les journaux, pas les journaux à scandale, mais ceux qui sont lus par la majorité de la population. Nous avons eu le Canada, les Etats-Unis, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, et Stockholm était là ce matin pour le problème de la prostitution.
Nous avons une dizaine de personnes au gouvernement, qui ont été élues par un ensemble de population et qui se permettent d’ignorer les revendications des femmes dans leur propre pays.
Je pense qu’avant de seulement prôner la sagesse dans d’autres pays « ne faites pas la guerre, faites l’amour … ». Avant de manger sa soupe, on regarde dans son assiette. Maintenant, c’est une affaire de femmes et nous lançons un appel à toutes les femmes prostituées, pour qu’elles se groupent, qu’elles téléphonent à tous les ministères, nous demandons à toutes les femmes qui se sentent concernées par un problème de femmes de venir nous rejoindre, à tous les mouvements de femmes, à tous les partis politiques.
On nous a taxées d’être manipulées par des partis politiques, nous n’avons jamais été dans la politique, nous ne cherchons pas à connaître le parti politique quel qu’il soit.
Nous demandons à toutes les femmes de venir nous rejoindre, parce qu’en fin de compte le gouvernement est en train de réprimer toutes les femmes et ce sont toutes les femmes qui sont jugées actuellement, c’est toutes les femmes qui reçoivent des coups de matraques sur la tête.
On les attend toutes, toutes, toutes aussi longtemps qu’il faudra tenir. Que toutes les femmes lâchent tout ce quelles ont, pour venir aider d’autres femmes.
Aujourd’hui, samedi, il y a beaucoup de femmes qui ne travaillent pas. Il faut que ça s’entende. Il y a beaucoup de femmes qui voudraient faire quelque chose, mais qui ont peur de gêner, qui pensent qu’on ne voudrait pas qu’elles viennent ; il faut qu’elles viennent, toutes.5

Télé-trottoir sur la prostitution : Télé-trottoir sur le mouvement des prostituées qui occupent l’église Saint-Nizier à Lyon pour protester contre leurs conditions de travail. – Archives INA, 7 juin 1975.

Le militant homosexuel Michel Chomarat publie un dazibao devant l’église (date incertaine).

« La répression s’abat également sur les homosexuels – qui paient également des PV à 160 F – qui sont également poursuivis par la police à Lyon. Nous exigeons la libre disposition de notre corps. Nous sommes de ce fait solidaires de la juste cause des femmes ».

Il souligne que « les PD étaient également taxés de PV – pour le même motif – lorsqu’ils draguaient sur la voie publique, comme les quais du Rhône et de la Saône.9

Paris – chapelle Saint-Bernard de Montparnasse

Les prostituées de Paris élisent Sonia comme porte-parole et déléguée. Elle est assistée de Véronique, Mélanie, Josette, Corinne et Jackie. Simone de Beauvoir fait porter un lit pliant pour installer une femme usagère de drogue dont le manque suscite une crise d’épilepsie.17

Revendications du Comité des femmes prostituées de Paris

Ce que nous réclamons
1. Abolition de l’article « 34 » : incitation à la débauche.
• Plus d’amendes, plus de procès-verbaux.
• Nous proposons : impositions non abusives donnant droit à la sécurité sociale et à la retraite, comme toutes les françaises mères de famille.
2. Nous constatons que la prostitution est un métier dû au déséquilibre sexuel de la société.
3. Nous voulons être citoyennes à part entière.
Nous refusons fermement
1. la réouverture des maisons closes, même sous forme très moderne luxueuse d’Eros Center ;
2. d’être des fonctionnaires du sexe sans aucune liberté ;
3. d’être nationalisées ;
4. d’être municipalisées.
Nos revendications immédiates
1. Le retrait des peines de prison encourues par les personnes de Lyon.
2. Suppression de la loi concernant la prison sur récidives.
3. Voir un représentant du gouvernement capable de comprendre les problèmes des prostituées et trouver un terrain d’entente.
4. Réouverture des hôtels dans les quartiers de prostitution uniquement.
5. Application des lois permettant la réinsertion de la femme prostituée dans la société.5,13

Des prostituées à la Chapelle Saint-Bernard : A propos de la révolte des prostituées, occupant la chapelle Saint-Bernard à Paris, le père FEILLET pendant son sermon déclare « nous sommes dans une situation d’accueil et d’hôte ». – Archives INA, 8 juin 1975.

Montpellier – Église Saint-Denis

Elles sont une trentaine et rédigent un tract dans la nuit. Elles cherchent à le faire imprimer au siège du parti communiste qui refuse. Elles rencontrent des militants de la CFDT qui les aideront avec l’impression. Elle distribuent des centaines de copies de la Lettre à la population dans les terrasses et cafés. Une dizaine de personnes leurs manifestent de la sympathie, mais pour le reste de la population leur manifeste soit hostilité, soit indifférence.18

Varia
Déclaration controversée d’André Jarrot, ministre de la qualité de la vie, à Châlons-sur-Saône19

« En prenant, il y a quelques années, les mesures radicales que l’on sait, à l’initiative de Marthe Richard, on s’est trompé. En voulant supprimer la prostitution, on s’est contente de la rejeter dans la clandestinité, ce qui est désastreux au double plan sanitaire et psychologique.

On n’a pas assez songé à l’arrivée des travailleurs étrangers, et on mesure maintenant les conséquences d’une décision qui a peut-être été inspirée par des raisons louables, mais qui est mauvaise par la situation qu’elle crée.

Quant à l’attitude de l’Église, elle est pour le moins déconcertante, et il n’est pas évident qu’elle soit de nature à faire avancer une nécessaire solution. »

Rédaction d’un mémorandum destiné au ministre de la justice17

Le texte exact n’est pas disponible. On sait qu’il concernait :

  • La légalisation de la prostitution
  • Le droit à la sécurité sociale
  • Le statut de fonctionnaire du sexe
  • Le refus de la réouverture des maisons closes, Eros centers ou municipalisation de la prostitution
  • L’acceptation de payer des impôts raisonnables, de cotiser à la sécurité sociale et à la retraite
Texte non signé d’une alliée féministe

En trois jours, je n ai pas trouvé le temps d’aller à la Chapelle Montparnasse, malgré mon enthousiasme pour la lutte des prostituées. J’avais de très bonnes raisons, mais tout de même, c’était troublant.

D’autant plus que mon enthousiasme s’est assez vite mêlé de critiques : elles ne remettent en cause le proxénétisme qu’en ce qui concerne l’Etat, elles ne veulent pas l’abolition, mais la législation de la prostitution…

Puis j’ai compris quelques éléments de ma résistance à aller à la Chapelle Montparnasse :

Je me sens en fait une fascination très ambigüe pour les prostituées, qui m’éloigne d’elles et m’attire à elles tout à la fois. Comme un vertige, et c’en est un.

Éloignement parce que, ne serait-ce qu’en passant dans la rue à côté d’une femme prostituée, je me sens rejetée du côté des femmes « honnêtes », qui jamais ne feraient ce qu’elles font. Position qui m’est très inconfortable de la bonne fille qui a l’approbation de l’ordre établi, respectablement mariée, enfin « bien » quoi. Position donc qui, par sa complicité avec le pouvoir en place, a besoin comme lui que la prostitution existe, mais discrète et ignorée. « On n’en veut rien savoir ».

En cela la révolte des prostituées me trouble, dérange le compromis que j’ai passé avec les hommes au pouvoir : mon corps n’est pas accessible à tous, je suis respectable ; en échange, je vends mon âme : j’ai accès à leur monde, à une certaine représentation sociale, une sécurité dans mon opinion de moi-même qui se fonde sur leur jugement. Ce n’est pas de l’argent, en fait ce n’est qu’une monnaie de singe, un miroir aux alouettes qui me dépossède de moi-même. J’essaie de me conformer à une façon de vivre, de penser, de ne pas aimer, où je ne me reconnais en rien, qui m’étouffe totalement. Je collabore avec un système qui écrase les unes et prostitue les autres. A la fois du côté des macs et prostituée moi-même. Parce qu’il faut bien « gagner sa vie » d’une façon ou d’une autre. (Payer le droit de survivre ?) Mais comment ? Question insoluble.

C’est pourquoi je me suis parfois demandé : puisque je me vends, pourquoi ne pas vendre mon corps ? Là je bute : c’est bien un pas qu’il faut « oser » franchir, comme dit K. Millett. Il faut oser perdre toute respectabilité, rompre avec toute reconnaissance possible du corps social tout entier. Et là ça me paraît trop, tant que j’arrive à me débrouiller autrement.

Et je m’aperçois qu’en fait, j’ai refusé presque toutes les prostitutions : celle du corps, celle de ma matière grise, de services divers. Je ne prostitue que mes doigts sur une machine à écrire, le minimum. (Sans bien comprendre d’ailleurs l’ampleur et l’obstination de ce refus). Mais à quel prix ? Quantité de vie perdue, coupures schizoïdes, rages étouffées, les nerfs qui s’usent, les humiliations aussi, les privations. C’est cela gagner sa vie le plus honnêtement possible.

Mais je suppose qu’il y a loin encore entre ça et ce que vivent les prostituées. Car il n’y a pas que la question de l’image sociale. Je veux parler de la sexualité noire, dégradée et honteuse. coupée du reste de la vie et des désirs. Mais cela aussi exerce sur moi une sorte de fascination, comme une curiosité de savoir ce qui se passe entre une prostituée et le client, d’en voir aussi les marques sur elle. Car j’ai beau penser autrement (et vivre aussi en partie, heureusement), la conception de la sexualité qui fait que la prostitution est ce qu’elle est, existe aussi quelque part en moi : refoulement et perversion à la fois. Répulsion et tentation.

Pour ça aussi je n’avais pas vraiment envie d’aller à la Chapelle : ne voyant pas comment être avec elles autrement qu’en voyeuse ou en militante politique (ce que j’ai été longtemps) qui discute tactique, revendications, conditions de travail, apitoyée certes mais avec la supériorité de qui sait mieux que les intéressées ce qui est bon pour elles, donc en position masculine. De ce parasitisme récupérateur je ne voulais pas non plus.

Et j’ai fini par me souvenir que j’ai déjà été considérée comme une prostituée, ouvertement ou implicitement : quand il me suffisait d’en avoir envie pour faire l’amour avec un homme, ça me semblait « naturel » au début. (Mais en avais-je vraiment toujours le désir : n’avais-je pas aussi la peur d’être rejetée comme « prude » si je ne le faisais pas. le besoin de m’assurer que j’étais « bien », donc consommable, ou simplement parce que c’était le plus sûr moyen de trouver une place en leur compagnie ?). Ils me traitaient de putain :

Parce que je couchais avec eux (je n’étais donc plus une fille bien, j’aurais dû refuser).

Parce que je ne faisais pas forcément tout ce qu’on voulait me faire faire, de quelque point de vue que ce soit.

Parce que j’avais le culot de demander autre chose que le seul rapport physique dans lequel je me sentais souvent niée.

Pour ne plus être une putain, et combler les manques qui en découlaient, j’ai fui dans le conjugalisme, dont je ne suis pas encore tout à fait sortie.

En même temps, j’ai refoulé mon corps, étouffé la spontanéité de ma sexualité, ma faculté de désirer et d’exprimer mon désir.

De ce point de vue la révolte des femmes les plus méprisées, les prostituées, est une revanche pour moi. Et à considérer tout ce que leur lutte a remué en moi, je commence à comprendre à quel point leur révolte ébranle en profondeur le système en place, réduit en poussières sa façade en montrant sa vérité ; l’utilisation marchande des femmes, corps et âme. Elle m’aide aussi à m’en dégager, au point que j’ai eu envie d’écrire tout ça et que j’ai pu le faire.

Vive le mouvement de libération des femmes et toutes les luttes de femmes.5

8 juin
Lyon

Les femmes décident de continuer l’occupation jusqu’au 9e jour et de sortir alors sans faire de scandale.13

Réflexions de Barbara sur la médiatisation du mouvement

Ulla, Barbara, ces deux noms reviendront souvent dans la presse et à la radio. Les journalistes ont voulu faire de nous des vedettes, ils avaient besoin de « têtes ». Toutes les tendances y avaient trouvé leur compte : les circuits « commerciaux » s’étaient emparés d’Ulla, la blonde, la star décidée. Les gauchistes, féministes et autres mouvements progressistes voulaient faire de moi leur porte-drapeau. J’étais le cas social qui leur convenait le mieux : « ancienne institutrice, célibataire, indépendante ». Mais ils oubliaient tous une chose, en s’agglutinant autour d’Ulla et de Barbara : le mouvement des femmes de Lyon avait débuté par un accord, une solidarité ; il continuait par une communauté, la « démocratie des femmes prostituées » comme a dit Libération. Il n’y avait pas de chef qui pensait pour les autres, pas de manipulation extérieure non plus. Nous savions pourquoi nous étions là, et toutes les femmes prostituées de l’église Saint-Nizier avaient la même importance. Toutes les actions et les déclarations à la presse étaient décidées d’un commun accord aux réunions. Ces femmes dont personne n’a parlé, sont les noms sont restés inconnus du public, sans elles rien n’aurait pu se faire, Barbara et Ulla n’auraient pas existé. Toutes ont réalisé un travail formidable pour cette grève. Je pense à Minouche, Martine, Carole, Mireille, Christine, et à beaucoup d’autres. Car, je le répète, une action comme la nôtre est exceptionnelle pour des femmes et encore plus pour celles qui n’ont pas l’habitude d’être considérées comme des femmes.

Paris – Chapelle Saint-Bernard de Montparnasse

« Chaque jour, vers 5h du matin, un pâtissier du voisinage venait avec ses mitrons nous porter des douzaines de croissants chauds. Les épiciers, les charcutiers, les marchands de fruits et légumes nous offraient des victuailles avec une telle prodigalité que nous aurions pu, il me semble, à la fin de la grève monter tout un restaurant. »17

Prèche de l’abbé Feillet sur Marie de Magdala.

Simone de Beauvoir les incite à faire appel à Simone Veil.17

Montpellier – Église Saint-Denis

Les prostituées de Nîmes leur apportent des vivres, des cigarettes et de l’argent. Les flics des renseignements généraux essayent d’entrer et les prostituées se barricadent. Elles sont mal traitées par les paroissiens.18

9 juin
L’I.F.O.P publie les résultats d’un sondage sur la prostitution.13
  • 93 % pensent que la prostitution existera toujours
  • 73 % trouvent que la présence de « filles » dans la rue est intolérable
  • 78 % sont pour une réglementation de la prostitution
  • 65 % sont favorables à une réglementation de la prostitution dans le cadre de « centres spécialisés »
Communiqué du Cercle Flora Tristan du M.L.F., Lyon, 9 juin 1975

« Parce que la révolte des femmes prostituées fait partie de la lutte de toutes les femmes pour leur libération, le Cercle Flora Tristan du M.L.F., Lyon, a diffusé la première «Lettre à la population » du Collectif d’ Action des Personnes Prostituées de Lyon.
Notre Cercle faisait simultanément connaître ses positions : Femmes, soyons solidaires avec les femmes prostituées en lutte :
• contre la répression sous toutes ses formes, présente et à venir, qui s’exerce contre les femmes prostituées ;
• contre le mépris, les insultes, l’humiliation constante des mâles dominateurs qui profitent de cette occasion pour se montrer tels qu’ils sont : maîtres tout puissants de toutes les femmes ;
• pour la suppression de la prostitution qui ne disparaîtra qu’en même temps que la famille patriarcale monogamique reposant sur l’oppression de femme par l’homme.
Des contacts ont aussi été pris avec les prostituées occupant l’église Saint-Nizier, en vue d’organiser une réunion de discussion et d’apporter notre soutien à leur juste lutte. »

Les femmes de Grenoble interpellent le médiateur Aimé Paquet pour qu’il intervienne en leur faveur. Celui-ci dit qu’il doit s’informer pour vérifier que cette action est de son ressort.13,17

À Lyon, une femme gravement malade refuse de se faire évacuer.16

Elles apprennent que les jeunes femmes d’Avignon (Saint-Didier), de Toulouse (Saint-Sernin), de Montpellier (Saint-Denis), de Cannes et de Rouen se joignent au mouvement16,17.

Montpellier – Église Saint-Denis

C’est le craquage, certaines filles en viennent aux mains car elles souhaitent partir et le moral est très bas. Finalement personne ne part, sans avoir besoin de menacer personne. Elles avaient surtout besoin d’être écoutées et entendues.18

10 juin – Expulsion brutale des églises occupées

Sur ordre de Michel Poniatowski, ministre de l’intérieur, les églises sont violemment expulsées au petit matin.

Un communiqué du ministère de l’intérieur précise que « les établissements cultuels ont été évacués sur ordre de M. Poniatowski en raison des troubles à l’ordre public que présentait l’occupation de ces bâtiments par des travestis et des prostituées, et en application des articles 25, 26 et 32 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. »17,19

Valéry Giscard d’Estaing annonce une mission d’information sur la prostitution. Simone Veil nomme le juge Guy Pinot qui sera en charge de recueillir les doléances des prostituées.

Lyon
« A Lyon, il est six heures. Tout le monde dort dans Saint-Nizier, … »

…sauf les filles qui gardent les portes. Le téléphone sonne à la cure. Il y a, soi disant, un message urgent pour Ulla. Le père Béal part donc vers l’église pour nous prévenir. Il frappe. Au moment où on lui ouvre, plusieurs policiers en civil se précipitent sur lui et le poussent à l’intérieur en lui tordant les bras derrière le dos. Les filles de garde se mettent à crier : « Les flics, les flics ! » Je n’ai que le temps de sauter dans ma robe, avant de voir s’avancer une centaine de flics : d’abord ceux de la police des mœurs, en civil, et derrière, les « habillés », sur pied de guerre : casque, matraque, grenades. Il y a même une vingtaine de chiens. Les chefs crient : « trouver Ulla et Barbara ! […] Je me retrouve dehors, bourrée de coups de pied dans le ventre, ma robe déchirée. Là j’essaie de me redresser et de marcher dignement jusqu’au fourgon. Les flics me poussent à coups de poing. Ils me jettent la tête contre le siège. Ulla s’est accrochée à moi. Au début, les flics la tirent par les cheveux, puis ils la frappent violemment à la tête. Elle s’évanouit, et on l’évacue sur une civière vers un hôpital.. »13

« Notre dernière nuit…

« Vers cinq heures du matin, je l’ai su plus tard, car je n’étais pas à la porte d’entrée, mais à l’intérieur de l’église, le Père Béal frappe à la porte : « On demande Ulla au téléphone ! »

Sans méfiance, la fille ouvre la porte et le prêtre est projeté en avant par une armée de flics en civil. Ils se précipitent de partout, virent les filles qui dorment, à grands coups de gueule, et avec un porte-voix, pour nous assurer que ce ne sont pas des anges qui nous parlent dans notre sommeil, eh ! des fois…

La surprise passée, nous résistons toutes.

Par une fente, je regarde dehors, et je vois un bon nombre de CRS accompagnés de leurs chiens.

Tout à coup, une de mes camarades est aux prises avec cinq policiers en civil : je fonce pour l’aider ! Oh ! Quelle aubaine pour eux ! Ils n’ont pas encore pu m’approcher, les filles faisant toutes un rempart entre eux et moi. Las ! Ils lâchent cette dernière pour me tomber dessus.

C’est la dernière image que j’ai eu de l’église de Saint-Nizier. Après un coup derrière la tête, je me suis retrouvée dans une ambulance, à moitié droguée, car on m’a fait une piqûre très forte, pour calmer ma crise de nerfs, paraît-il !…

Or, les radios et le rapport médical de l’hôpital Édouard Herriot donnent une autre conclusion : « Aurait pu recevoir un coup de matraque, mais n’a pas de trace… » Curieux diagnostic pour un malade des nerfs !!! Allez donc comprendre…

Ce qu’il y a de sûr, c’est que les portes de Saint-Nizier se sont ouvertes sur l’Espoir ! Et 30000 femmes peuvent se dire maintenant : « En pleine angoisse, ne perd jamais l’espoir, car la moelle la plus exquise est dans l’os le plus dur ». »16

La police leur dit que l’ordre d’évacuer est venu de Mgr Marty, archevêque de Paris, ce qui est faux. Les femmes de Lyon sont brutalisées et il y a usage de bombes lacrymogènes. Les femmes sont conduites au commissariat Molière et sont relâchées une heure plus tard.13

Après Saint-Nizier : Après l’évacuation par la police de l’église de Saint-Nizier à Lyon, une prostituée parle de ce qu’elles souhaitent pour la suite, l’éventuelle création d’un syndicat, et d’Ulla, l’une des figures de proue du mouvement, qui disparu. Interviews d’Aimé PAQUET, médiateur à qui ces dames ont fait appel, et du curé de Saint-Nizier. – Archives INA, 10 juin 1975.

Articles dans Libération, 10 juin
Une de Libération, 10 juin 1975
Libération, 10 juin 1975
Libération, 10 juin 1975
Paris

« Le 10 juin à 6h du matin, le flash de France-Inter nous apprenait, alors que nous tenions encore dans la chapelle Saint-Bernard et que tout y était calme, que nous en avions été chassées au cours de la nuit. En fait, dix minutes plus tard, les flics faisaient irruption dans l’église, aux cris de « Virez les putes. Allez faire vos clients au lieu de nous emmerder. » Une fille, tentant de résister, prenait même de tels coups de matraque qu’elle passera deux mois à l’hôpital. […] J’avoue avoir pleuré comme une enfant en étant chassée de la chapelle Saint-Bernard. Depuis quatre siècles, le droit d’asile avait disparu, mais au matin du 10 juin nous croyions encore à la pitié des puissants et des hommes. Nous venions d’apprendre qu’il est aussi des lieux où meurt l’esprit. »17

Paroles de prostituées parisiennes : Après l’évacuation brutale de la chapelle Saint-Bernard à Paris, des prostituées témoignent des violences et espèrent trouver un nouveau lieu pour continuer à organiser la lutte ensemble. – Archives INA, 10 juin 1975.

Montpellier – Église Saint-Denis

Les policiers entrent et les expulsent en hurlant. Il y a deux cars de policiers devant l’église et ils n’ont pas eu besoin de sortir. Elles seront détenues cinq heures et celles qui reçoivent des peines de prison pour leurs amendes sont incarcérées dans la foulée. Le commissaire central déclare à la presse qu’ils continueraient de les pourchasser de façon systématique et constante.18

11 juin

Suite au conseil des ministres, réuni le matin.  M. André Rossi, porte-parole du gouvernement, a annoncé qu’un haut fonctionnaire, placé auprès du ministre de la santé, serait charge d’examiner les problèmes relatifs à la prostitution. 19

Michel Poniatowski déclare à France-Inter : « Sur le plan de la loi elle-même, il faut qu’il y ait une révision, parce qu’elle est à la fois hypocrite et contradictoire. […] Ceux qui organisent ces manifestations dans les églises sont, en réalité, les proxénètes, qui se sentent menacés par la loi renforçant la lutte contre le proxénétisme et qui va être examinée par le Sénat. »19

Barbara déclare : « Ce ne sont pas les proxénètes qui nous ont fait entrer dans les églises. Nous avons lancé ce mouvement seules, sans récupération politique, ou autre, pour affirmer notre statut et notre liberté de femmes. »17

Adoption par le Sénat de la loi sur le proxénétisme (voir 11 juillet)

Articles de Libération 11 juin
Une de Libération, 11 juin 1975
Libération, 11 juin 1975
Libération, 11 juin 1075
Maintenant que j’ai des amies, je compte sur elles (récit non-daté, post expulsion)

Maintenant, depuis un mois, je vois tellement de journalistes, ça me dégoûte, j’ai l’impression de me prostituer mais pour rien… mais ce que ce mouvement nous a apporté, ce qu’il m’a apporté, c’est que

je ne croyais pas qu’il y avait tant de gens qui nous comprenaient.

Comme seule réponse, alors qu’on a combattu calmement, à nos revendications, on nous a répondu par des coups de matraques,

mais aussi on nous a apporté des fleurs et des couvertures ; il y avait 120 femmes dans l’église à Lyon, 100 flics sont venus avec des chiens. A Lyon, il y a 130 femmes prostituées. Je crois que, pour le moment, il ne faut pas mêler nos histoires personnelles et le mouvement, nous sommes solidaires les unes des autres, dans ce mouvement très vite nous nous sommes organisées que ce soit pour la vaisselle ou pour le ménage, ça s’est fait d’instinct et d’autres filles ont fait la même chose dans d’autres villes… A l’église de Saint-Nizier, on voyait deux films par jour, il y a des groupes de musique qui sont venus,

un soir on a dansé, une autre fois un jeune est venu et a commencé à jouer de la musique indoue et, peu à à peu , on s’est mises à jouer aussi,

on a toutes fait de la musique… Mes deux enfants sont en nourrice. Au moment de l’occupation de l’église, nos enfants étaient gardés par des amies ou de la famille ou des anciennes prostituées. Avant de commencer le mouvement, il y a eu une semaine de préparation, pour que toutes puissent y participer… Je ne sais pas, je ne crois pas qu’il y ait plus de filles indépendantes qu’auparavant, mais avant c’était forcé alors que, maintenant, c’est parce qu’elles le veulent bien. Mais un homme, il ne sort pas avec une prostituée, il a peur, il part, il risque toujours d’avoir des ennuis et d’être accusé de proxénétisme. Moi, je peux rester seule, mais je suis comme les autres, le plus souvent on n’a rien eu, pas de maison, pas de foyer, rien, alors quand je m’étais acheté une super télé en couleurs, quelquefois je me relevais la nuit et j’allumais la télé et je me disais elle est à moi, le peu qu’on a, on se l’achète, on achète l’amour. J’étais aux sports d’hiver avec mes deux enfants, on m’appelait madame, j’achetais ma dignité ; on me respectait !

on veut être respectées parce, que, toujours on nous craché tellement dessus mais ce rêve on le touche, on l’atteint jamais… depuis que je suis toute petite, je voulais des enfants. J’étais institutrice, j’ai voulu mon enfant… Maintenant on a espoir d’être reçues mais les autres, les journalistes ont beaucoup parlé pour nous alors que personne ne peut expliquer la prostitution comme nous… L’état reçoit 150 milliards par grâce à la prostitution si on compte seulement une moyenne d’un P.V. par jour par fille…

on a voulu être reconnues. Si on nous reconnaît, le proxénétisme n’existera plus… Il y a trois ans que je suis prostituée. Depuis deux mois on a décidé de nous donner des impôts avec un rappel sur cinq ans, en tout cas c’est ou les impôts ou les P.V. mais pas les deux. Le danger c’est que, si on nous donne un statut, on voudra réouvrir les maisons closes et nous on ne veut pas être enfermées dans des maisons avec des cadenas où on ne voit jamais le soleil. Les prostituées c’est comme un vide ordures, on les tolère pour les travailleurs étrangers… Quand ils nous fait évacuer l’église, ils m’ont frappée dans l’église, nous on disait de rester assises. C’était notre force… Je n’ai rien vu, ils s’en sont donné à cœur joie. Ulla a été assommée, moi j’ai mal à la colonne vertébrale, j’ai des bleus sur le corps, ma robe était en lambeaux j’étais nue dehors, l’inspecteur avait dit qu’il fallait nous sortir de gré ou de force, il me disait de me taire et qu’il n’était pas la même chose en tant que flic et en tant qu’homme… à partir de mercredi les filles ont commencé à reprendre le travail… de toutes façons ça ne peut pas être pire que ça l’est… dans certains endroits à Avignon il y a marqué « interdit aux chiens et aux prostituées… » à Paris, dans les bars, on reçoit des insultes… on a pas l’habitude que les gens soient sympas, qu’ils nous donnent des fleurs, c’est un réflexe pour nous de nous demander pourquoi les gens sont sympas… On vient pas au monde prostituée, on le devient, voilà… j’avais tous les défauts, enfant de l’assistance publique, mère célibataire, prostituée…

depuis que j’ai cinq ans je lutte, depuis toujours ; contre tout, les gens sont pourris, je lutte contre tout depuis toujours, maintenant j’ai des amies, je compte sur elles.5

Le quotidien des femmes prostituées – Kate (non-daté)

Les prostituées sont à l’avant-garde du mouvement des femmes. Les plus opprimées, les plus haïes, les plus châtiées, les plus poursuivies de toutes les femmes. Aujourd’hui ce sont aussi les plus conscientes et les plus combatives. La grève des prostituées à travers toute la France est la meilleure nouvelle que les femmes aient jamais eue. Depuis bien longtemps, c’est la plus grande émotion, le plus grand espoir. La grève a lieu spontanément, elle vient d’en bas, elle vient du peuple. C’est une réponse claire et directe aux conditions dans lesquelles elles sont contraintes de vivre : le harcèlement par la police, l’hypocrisie de la société, la répression sexuelle, l’exploitation de la femme par l’autorité mâle, le maquereautage, l’extorsion mâle. Des femmes avec des enfants à élever et des moyens hasardeux pour gagner leur vie, qui vivent sous de continuelles menaces d’arrestation, d’emprisonnement, d’abus sur leur corps, et d’humiliation psychique. Des femmes dont le quotidien est le mépris public et la dérision. De telles femmes grandissent en nombre, en colère, en détermination, en solidarité. De telles femmes, avec une admirable intelligence politique choisissent de prendre pour refuge les églises, défiant l’ancienne « autorité morale » sur laquelle se fonde leur oppression et, debout devant les autels du christianisme, bravant l’Etat, sa bureaucratie, son officialité, ses ministères, les pouvoirs de ses polices. De telles femmes impriment des tracts, formulent des revendications, interviewent la presse, élaborent des stratégies, déterminent des nécessités, trouvent de quoi vivre, fondent des déterminations, la détermination de tenir.

Et puis, jetées dehors par la force, par la bêtise de la police, par un gouvernement incapable d’agir, de raisonner ou de répondre, par une « préposée à la condition féminine » qui se désintéresse complètement des femmes et dont la lâcheté et l’inactivité ont honteusement déçu, F. Giroud s’est dérobée devant le défi lancé à son bureau et à sa fonction vide. La seule viabilité possible de sa charge. Il y a tout de même plus d’intelligence morale dans la visite de Simone de Beauvoir à la chapelle Saint-Bernard. Et les veilles continuaient à Lyon, à Marseille, à Montpellier, à Paris, à Grenoble… Les femmes ensemble en lutte et solidaires, nuit après nuit, à travers là France.

La vie soudain dans les grottes vides des églises, avec les femmes, les couvertures, les enfants, le jus d’orange, et l’espoir. Jusqu’à l’arrivée des flics.

Mais quelle qu’en soit l’issue, ce commencement est en soi une victoire. Victoire sur le passé et ses horreurs, sur le présent et son aliénation. C’est dans cet immense et dramatique événement que la lutte de toutes les femmes puise ses origines, et elle commence ici.

Le meilleur est encore à venir.5

Communiqué de soutien international 11 juin

Trente femmes des pays suivants (Pays Bas, Belgique, Suède, Danemark, Finlande, Islande, et les Iles de Farô) réunies dans une conférence sur la position de la femme dans la société à Nimègue (Pays-Bas) le 9, 10, 11 juin 1975 affirment leur solidarité avec les femmes de Lyon ayant occupé une église pour protester contre leurs conditions de travail.

Nous vous soutenons dans votre protestation contre la loi française et contre une société hypocrite qui permet aux hommes d’avoir librement des relations sexuelles pour lesquelles femmes sont méprisées.5

12 juin

À Lyon, Table ronde sur la prostitution organisée par des femmes catholiques. Nicole Pasquier (déléguée générale du Centre d’information féminin pour la région Rhône-Alpes) y participe. Les prostituées ne sont pas invitées. Barbara y participe pour évoquer la réinsertion et y est reçue avec hostilité.13

Interview de Barbara, dans Libération13

« Après les échanges que nous avions ensemble pendant l’occupation, nous avons toutes senti la nécessité de nous rencontrer. Il nous semblait qu’il fallait un moyen de regroupement. Ni tout à fait un syndicat, ni un parti politique, ni un groupe féminin, mais quelque chose qui nous soit particulier, nous en tant que femmes prostituées…

Il faut, avant tout, que tout le monde puisse s’exprimer. Toutes les filles. Pour cela, il nous faut du temps. Il faut qu’un peu partout comme à Lyon s’organisent des discussions avec les déléguées par rue…

Il nous faut un moyen de consacrer cette force collective dont nous avons fait preuve. Pour pouvoir nous déterminer nous-mêmes, nous organiser nous-mêmes, nous défendre nous-mêmes. D’autre part, il semble qu’en ce moment tout le monde veuille nous aider. Le médiateur, Poniatowski, Giscard d’Estaing. J’ai même appris qu’un fonctionnaire allait être désigné auprès de Mme Veil, pour étudier notre situation. C’est très bien, mais, dans le même temps, on nous oublie complètement. Ce fameux statut dont on nous parle tant, il a l’air de vouloir se faire sans nous. Tous les contacts que j’ai pu avoir aujourd’hui me permettent de dire que je ne parle pas seule en mon nom. Nous sommes toutes d’accord. Les plus capables de voir ce qui est bon pour les prostituées, ce sont les prostituées elles-mêmes. Or, jusqu’à présent, c’est seulement un avocat de Marseille, dont on ne sait pas très bien ce qu’il veut, qui a été reçu. Notre statut, il va falloir que nous en discutions nous-mêmes, que nous l’imposions. Les états généraux de la prostitution devraient au moins servir à ça. Parce qu’il n’est pas question, et là, je suis encore formelle, et je parle encore au nom de toutes les filles, qu’on nous enferme dans quelque maison close que ce soit, comme tout le monde a l’air de le souhaiter. Il faut que cela soit bien clair. On ne nous mettra pas en prison, on ne nous fera pas perdre nos enfants, notre paradis personnel, mais on ne nous enfermera pas non plus dans des maisons closes. »

16 juin Conférence de presse du collectif des prostituées de Paris et de France
Mesdames, au nom du collectif des prostituées de Paris et de France, nous vous avons réunies aujourd’hui dans cette salle…

…pour faire le point jusqu’à ce jour et, ce, depuis le début de notre mouvement, le 6 juin 1975. Nous remercions toutes nos consœurs dans la collaboration et la solidarité qu’elles nous ont apportées et qu’elles nous prouvent encore, prêtes encore, j’en suis persuadée, à donner d’elles-mêmes une nouvelle fois. Nous savons que la majorité des militantes de notre mouvement a repris ses activités et nous sommes entièrement d’accord. Il n’en est pas moins vrai que nous, comité de tête dans son entreprise d’action, continuons notre lutte afin d’obtenir un résultat concret sur nos points de revendications.

La presse nous a annoncé que notre président de la République, monsieur Giscard d’Estaing, devait faire abolir la loi Marthe Richard et, de ce fait, a chargé madame Simone Veil, ministre de la santé publique, de se préoccuper de notre cas, car nous avons pu remarquer que, parmi les hautes personnalités de l’Etat, ni madame Françoise Giroud, ni monsieur Poniatowski n’ont cru utile de prendre la responsabilité nécessaire qui s’imposait, chacun d’eux se dérobant à sa façon. C’est pour cette raison, dès lors, que nous avons des promesses en cours qui ne peuvent faire autrement que de solutionner un terrain d’entente.

Notre consœur lyonnaise Barbara est venue nous rendre visite au nom du collectif des prostituées de France, toutes ici, présentes ou absentes de cette réunion, pour que vous compreniez que nos revendications ne seront appuyées que si l’ordre et la dignité restent maîtres de la situation. Pour ce faire, il faut bien vous dire que toutes les doléances formulées sur nos tracts ne doivent pas être controversées aujourd’hui. Certaines d’entre nous ont suivi les travestis sans qu’elles sachent pourquoi.

Nous réclamons entre autres et surtout d’être des mères libres pour nos enfants. Les travestis peuvent-ils être des mères ? Je vous laisse faire votre propre réponse. Certes nos amis travestis ont été vis à vis de nous et surtout à Paris d’une solidarité à toute épreuve et nous leur disons merci. Si nous bénéficions de l’article 1104 du code pénal, ils en bénéficieront aussi, si nous obtenons l’abolition des peines de prison en matière de procès verbaux, ils l’obtiendront, mais il ne faut pas oublier que notre société fait une différence entre nos deux sexes et qu’elle est hostile à ce groupement d’ensemble et je demande à nos amis travestis de faire une action parallèle à la nôtre mais pas du tout similaire.

Et je demande aux femmes prostituées de revenir avec nous afin d’éviter des critiques inutiles qui seraient fondées et dont elles nous éclabousseraient de ridicule dans l’état de nos revendications.

Je dis donc, soyez avec nous, pour nous, pour que la cohérence de notre entente soit unifiée, entendue et prise en considération.

La lutte continue, faites nous confiance, nous n’avons pas l’intention de dissoudre ou d’effriter le bloc de soutien que nous sommes.

Nous attendons quelques jours pour savoir si le gouvernement modifie le texte de loi avant de créer une éventuelle nouvelle relance.

Informez-vous auprès de nous, vos idées seront acceptées et examinées avec toute l’attention qu’elles méritent. Conservez votre confiance en nous. Même si le calme est revenu après la tempête, il nous reste à vous remercier de votre très grande compréhension. Battons-nous pour nos enfants, pour nos droits, pour la liberté de chacun, pour le respect de notre concept et la dignité de l’entreprise que nous avons ébauchée, afin que nous triomphions dans un avenir plus clément et, si la réinsertion de plusieurs d’entre nous se produisait, que nous puissions lever très haut la tête et bannir la clandestinité de la prostitution qui est reconnue nécessaire depuis des millénaires, merci à vous toutes.5

Mesdames, je vous dis bonjour. Je suis vraiment déçue parce qu’il n’y a pas grand monde et c’est vraiment la première catastrophe qui pouvait arriver…

Je ne sais pas si vous avez vraiment conscience que la lutte que nous faisons actuellement c’est la lutte de toutes les prostituées de France, c’est pas la lutte de 3 ou 4 filles. J’aimerais que vous expliquiez à vos compagnes : pour celles qui sont venues, j’espère qu’elles sont venus parce qu’elles avaient confiance en ce que nous faisons et pas pour nous faire plaisir à nous, j’espère qu’elle le comprennent elles-mêmes.

Je vais expliquer à peu près ce qui s’est passé et pourquoi on a fait ce qu’on a fait jusqu’à maintenant, je parle surtout aux femmes prostituées, beaucoup d’entre vous n’ont pas compris pourquoi nous avions agi de cette façon.

Je parle de Lyon parce que c’est la ville où je travaille. Les répressions sont à peu près partout pareil, plus ou moins grandes, mais à Lyon c’est nous qui payons pour des histoires d’hôtel d’il y a trois ans. La police passe, nous met un PV, on a même pas le double, on écrit sur un bout de papier notre nom, notre adresse, on passe devant nous en voiture, on lève le pouce et hop, un PV : à la fin de la soirée on a cinq PV, au moins trois sûrs par jour, j’ai des preuves à l’appui que j’ai donné à des journalistes du Rhône qui ont pu les photocopier. Chaque PV nous vaut trois à huit jours de prison.

Toute prostituée que je suis, j’écoute quand même l’assemblée générale, parce qu’une prostituée ça pense malgré ce que les braves gens peuvent en dire, et j’ai entendu M. Lecanulet dire qu’il n’était plus question de mettre les gens en prison pour un oui ou pour un non, parce que la prison n’arrangeait pas, ne servait à rien. OUI, mais nous on nous met en prison et c’est pour ça qu’on s’est mises dans une église et les journalistes vont dire pourquoi dans une église ? Parce que c’était le seul endroit où la police ne devait pas venir nous frapper. Là, on a bien eu tort, car il ne se sont pas vraiment pas gênés pour nous taper. On a revendiqué d’une manière digne, correcte, droite et à sa Poniatowski nous a répondu par des coups, des chiens lâchés dans les églises et des bombes lacrymogènes.

Je suis dégoûtée que l’on soit reçues par Mme Veil, au ministère de la santé publique, alors que Mme Giroud, elle, ne nous considérons pas comme des femmes, a refusé de nous recevoir. Ça c’est quelque chose d’abominable, car c’est vraiment nous remettre à l’état d’entre-jambes.5

Conférence de presse des prostituées : Lors de la conférence de presse des prostituées, Barbara prend la parole. Elle demande la déstigmatisation de leur profession et réagit à la nomination d’un Monsieur Prostitution du Ministère de la Santé pour dialoguer avec elles. – Archives INA, 16 juin 1975.

Les femmes s’organisent : dossiers par quartier, résumés téléphonique des situations locales, consignées dans un cahier destiné à la préparation des États généraux.13

« On nous avait promis un « M. Prostitution » attaché auprès de Mme Veil. Pourquoi un Monsieur ? Nous sommes d’ailleurs dégoûtées de voir qu’on nous adresse à Mme Veil, ministre de la Santé, et pas à Mme Giroud. On nous rabaisse toujours à l’entre-jambes. » déplore Barbara. « Pour l’immédiat, nous allons nommer des porte-parole qui s’adresseront directement à Mme Veil. Nous n’avons pas besoin d’intermédiaires, nous savons parler toutes seules.13

21 juin
2e convention nationale des prostituées – À San Francisco

La deuxième convention nationale des prostituées appelle toutes les femmes à se reconnaître et à s’unir à leurs sœurs prostituées. Elle aura lieu samedi 21 juin à San-Francisco. Tant qu’une femme est traitée de putain, toutes les femmes le sont. Ce n’est plus qu’une question de prix.

Il est plus difficile pour les femmes de comprendre la prostitution, parce que, à la différence de l’avortement, il se peut que ça ne les touche pas aussi directement.

Pour toutes les femmes, le droit à la libre disposition de leur corps est aussi fondamental qu’il s’agisse de la prostitution ou de l’avortement.

Les Etats-Unis sont un des pays les plus répressifs du monde en ce qui concerne la prostitution, et l’Année Internationale de la Femme est le moment de dénoncer et de combattre cette discrimination.

En 1955, les Nations Unies ont rendu la prostitution légale dans plus de cent pays — et, cependant, des milliers de femmes sont encore dans les prisons des U. S. A. : c’est le résultat de la répression policière.

« Coyote » est une association de gens qui croient et affirment que la prostitution n’est pas un délit. Leur lutte est un pas vers une plus grande liberté individuelle pour toutes. « Coyote » a été fondé en 1973… le jour de la fête des mères.

Nous soutenons la grève de nos sœurs en France et l’occupation des églises.

Nous dénonçons l’Eglise comme un des hauts lieux d’hypocrisie en ce qui concerne la sexualité.

La séparation de l’Eglise et de l’Etat est essentielle pour la liberté individuelle.

« my ass is mine, to sell or give. »

Nous n’avons pas besoin de leurs lois « protectrices ». Nous pouvons nous prendre en charge toutes seules !

En tant qu’être humain adulte, j’insiste sur le droit d’user de mon propre jugement…

Surtout lorsque cela concerne mon propre corps, mon propre temps.

Je ne me laisserai pas plus longtemps abuser par ceux qui profitent de ma persécution !

Je n’attendrai plus un instant pour ma libération. maintenant !

Qu’on mette fin au pouvoir qui conditionne le délit !

Qu’on mette fin au matraquage et à la répression policière !

Je ne veux plus être arrêtée sous prétexte de « bloquer le trottoir », à moins que je ne vous empêche vraiment d’y marcher !

Je ne veux plus, être arrêtée pour sollicitation quand c’est vous qui me sollicitez !

Je dis NON aux traitements contre la syphillis, à moins qu’il soit prouvé que je l’ai, et je refuse d’être enfermée en prison sous prétexte « d’attendre les résultats ».5

25 juin

Réunion organisée par le mouvement du Nid de Lyon afin de rassembler les partis politiques, syndicats, associations contre la réouverture des maisons closes et pour l’abolition de la prostitution.

À Lyon : agression commise par un certain Domingo Da Silva17, 21.

Juillet

1er juillet

États généraux de la prostitution à la Bourse du travail de Lyon

Le cahier des situations locales recueilli par Barbara et confié à une collègue lyonnaise a disparu, personne ne semble en avoir entendu parler. Barbara est dans la salle mais pas à la tribune. Elle annonce publiquement se retirer de la prostitution21, ce qui est mal reçu par ses collègues.13

Affiche des États généraux

Oui :
être des femmes à part entière

liberté et justice
contrôle sanitaire
états généraux des prostituées

Non :
proxénétisme
maisons closes
répression policière
peines de prison3

Les États généraux de la prostitution à Lyon : Plans extérieurs de la bourse du travail avec des personnes devant (0’25 ). Plans intérieurs de la salle avec une nombreuse assistance et, au fond, l’estrade sur laquelle ont pris place les prostituées (0’45 ). Courte interview de Delphine SEYRIG qui assistait à cette réunion (0’26). – Archives INA, 2 juillet 1975

L’une d’entre nous a assisté aux Etats Généraux de la Prostitution à Lyon, le 1er juillet 1975…

Des prostituées de différentes villes ont fait connaître leurs premières revendications :
« Non aux prisons — Non aux maisons — Non aux amendes. »
Certaines d’entre elles ont fait état de leurs chiffres d’impôts.
C’est, en général, dès qu’elles achètent une chambre ou un appartement que le fisc se manifeste. Les impôts sont fixés avec un effet rétroactif de quatre ans (même si la fille n’est prostituée que depuis quelques mois…). Sur la base de 5 passes par jour au minimum, soit 500 FF.
On pourrait croire qu’en les imposant, l’Etat reconnaît les prostituées pour des professionnelles. Mais en même temps, il les taxe d’amendes tout à fait arbitraires (sans parler des ramassages, brutalités policières, peines de prison…) et qui peuvent s’élever elles aussi à des sommes équivalentes à leur gain journalier. Est invoqué l’article R 34 du code pénal, qui sanctionne « l’attitude de nature à provoquer la débauche ». Une représentante d’un groupe M.L.F. de Paris est venue raconter que plusieurs jeunes femmes allaient déposer plainte dans les commissariats parisiens contre le racolage des hommes, ceci en invoquant le même article et par solidarité envers les prostituées.4

3 juillet

Occupation du château de Varvasse, propriété du président Valéry Giscard-d’Estaing à Chanonat près de Clermont-Ferrand, par une centaine de personnes.6

Le récit de Sonia : « Nous avions affrété un car, depuis Paris, et nous étions arrivées en cohorte, suivies par une cinquantaine de voitures particulières… 17

 — Pourquoi ne pas aller voir Giscard ? demanda tout à coup quelqu’un.
Aussitôt, nous nous entassâmes dans le car et prîmes la direction de Chanonat où le président de la République possède le château de Varvasse. Delphine Seyrig, qui était venue en renfort, était parmi les pétroleuses les plus pétulantes.

Imaginez une campagne vallonnée sous le soleil d’été. C’est le matin, l’air est léger, avec cette saveur à la fois parfumée et digne que possède seul le vent de la montagne.

A l’entrée du village, la route serpente entre des murs de pierre. C’est la France de toujours, avec ses dimensions humaines, sa beauté du juste milieu. Rien d’étonnant à ce que ce paysage tranquille ait façonné l’homme qui souhaite gouverner au centre.

Le car s’arrête devant un paysan rougeaud qui, la fourche à l’épaule, entasse sur des meules des brassées de foin blond.
— Où est le château de Varvasse ? Nous sommes des touristes.
Longuement, le brave homme explique l’itinéraire. Il faut tourner à droite, puis à gauche, et, là où sont les gendarmes, c’est le château du président.

Au-delà des murs se dresse une demeure de pierres blanches, gracieuse et aristocratique. Varvasse, c’est la douceur de la Renaissance, le sourire de la France éternelle, l’ardoise fine, le petit Liré, le séjour des aïeux.

Une poterne sculptée, gardée par deux pandores débonnaires, en défend l’entrée.

Aussitôt, nous mettons pied à terre, devant les gendarmes sidérés par un tel déploiement. Les banderoles se déplient, la marée humaine se hérisse de pancartes. Il y a un instant d’affolement durant lequel Corinne, qu’une journaliste a prise à bord de sa voiture, en profite pour s’infiltrer dans le parc. Croyant avoir fait une prise, les gendarmes referment précipitamment le portail. Les cris fusent chez les assaillants :
— Rendez-la nous, rendez-la nous ! attirant la réponse, courageuse et catégorique :
— Jamais !
Alors, aux cris d’ « A poil, les flics », le portail est enfoncé en moins d’une minute. On écrase la piétaille, l’aile gauche se replie, l’aile droite fait une percée. Un quarteron de fantassins se jette à l’assaut des alliés, protégé par le tir compact de l’artillerie qui fait feu de tout bois, et en particulier, celui des manches de pancartes. L’armée ennemie, terrifiée par de tels visages et de si prompts renforts, est poursuivie jusque sur les plates-bandes. Effarée, éperdue, ayant abandonné jusqu’au drapeau du régiment — entendez le képi des gendarmes — elle erre assoiffée tout au long des pelouses. Nous dénombrons nos pertes : ongles cassés, cheveux arrachés, bas filés et pieds écrasés. Elles sont minces, et sans rapport avec l’issue glorieuse du combat.

Le général Ulla peut dire :
— Soldats, je suis content de vous.
La déroute de l’ennemi a gagné sa cavalerie. Les chevaux des Giscard d’Estaing en profitent pour quitter leur paddock, bientôt rattrapés au lasso par des mains expertes et promptes.

Un prisonnier est amené. Il s’agit du jardinier qui supplie d’avoir la vie sauve.

Devant le haut commandement, l’homme a le front de faire face :
— Fichez le camp, dit-il, vous n’êtes pas chez vous.
Alors, le colonel Seyrig, d’un mot demeuré historique, va remettre les choses à leur place :
— La propriété, c’est le vol.

Les troupes d’occupation, pendant ce temps, s’organisent. L’effroi aura été tel chez l’ennemi qu’une parente du président de la République aura même été se cacher au fond du donjon.

On s’assoit sur les pelouses, on flâne, on devise. C’est la guerre en dentelles, le repos des guerrières, les Délices de Varvasse…

Notre action psychologique affecte de convaincre les populations indigènes, en distribuant des prospectus :
— Non aux maisons closes, oui à Simone Veil.
L’effet est saisissant. C’est alors que nous apprenons que l’adversaire va recevoir des renforts de gendarmerie. Aussitôt alertées, nos troupes sont sur le qui-vive. Cinq pandores arrivent plus étonnés que belliqueux.
— Ce n’est que vous, nous disent-ils. On craignait les agriculteurs.

Un émissaire dépêché au monarque ennemi reçoit cette réponse ferme :
— Laissez ces dames évoluer en paix dans la mesure où elles ne cassent rien. Elles partiront bien toutes seules lorsqu’elles en auront assez.
Il y a du Louis XVI, et non du Louis XV, c’est l’évidence même, chez ce président-là.

En fait, nous serons bien chassées par la force des baïonnettes. Repliées en bon ordre sur des positions stratégiques soigneusement préparées à l’avance, nous regagnerons notre car au terme d’une campagne-éclair qui fut surtout une partie de campagne.

En rentrant à Lyon, nous nous arrêtâmes à Chamalières, autre fief ennemi où d’importantes troupes — 500 policiers environ — avaient été massées devant la mairie. Tout Chamalières était à ses fenêtres pour nous voir distribuer généreusement des quantités de cacahuètes à ces échappés de zoo.

Après un déjeuner sur l’herbe, nous rentrâmes à Lyon, épuisées mais ravies.

« Les quelques gendarmes en charge de la protection du lieu en l’absence de son propriétaire ne peuvent empêcher les prostituées d’investir le parc où elles organisent un pique-nique après avoir décoré les grilles de banderoles « non à la répression » et « non aux maisons closes ».6

« Elles laissaient croire à une deuxième journée d’états généraux dans un petit château de la campagne lyonnaise. En fait, au matin de cette deuxième journée elles accrochaient, après une balade de 200 km au centre de la France, au nez et à la barbe des forces de police, leur banderole au portail du président de la République. Elles tenaient meeting sur son gazon, elles accrochaient leurs affiches aux feuilles des branches : « Nous sommes venues de toute la France visiter le château que Monsieur Giscard d’Estaing a pu se payer avec le prix de nos amendes et de nos impôts. »3

11 juillet

Vote de la Loi n° 75-624 du 11 juillet 1975 renforçant la lutte contre le proxénétisme hôtelier qui double la peine encourue par les proxénète et permet la saisie du fonds de commerce hôtelier. Selon Barbara, cette loi permet de saisir l’appartement acheté par une prostituée pour y exercer et d’accuser celle-ci d’être sa propre proxénète.13

21 juillet

Guy Pinot alias « Monsieur Prostitution » : Suite au mouvement des prostituées à Paris et Lyon, Guy PINOT vient d’être nommé en charge du dossier. Il annonce comment il envisage ses nouvelles fonctions. – Archives INA, 21 juillet 1975

Août

5 août

Audition par Guy Pinot d’une délégation menée par Ulla21. L’entrevue dure deux heures trente.

22 août

Collage nocturne d’affiches par les prostituées à Lyon sur des sex-shops et cinémas pornographiques accusés d’être les « véritables promoteurs de la débauche »6.

« Qui débauche vos enfants ? Eux ou nous ? ». « Selon nos sondages, nous croyons savoir que les réactions du public lyonnais, après un moment de surprise et de stupéfaction, nous ont été très favorables. Nous estimons cette opération comme réussie. »24

Septembre

1er septembre
À Paris, Sonia rédige un projet de charte pour remise à Pinot. Celui-ci est débattu mais pas approuvé par le Collectif des femmes prostituées

Article Premier – Les droits des prostituées doivent être égaux à ceux de toutes les autres femmes.
Pour que cessent les arbitraires et les brimades, toutes mesures doivent être prises pour obtenir l’abolition des règlements qui impliquent une discrimination à l’égard des femmes exerçant la prostitution.

ART. 2. — Les interpellations arbitraires, occasionnant des procès-verbaux dont le coût anéantit tout ou partie d’un budget, doivent cesser.
Les prostituées qui sont des citoyennes à part entière seront soumises à l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Les déductions forfaitaires qui leur seront appliquées tiendront compte, si besoin est, du fait qu’elles sont souvent mères célibataires, assurant seules, par conséquent, l’éducation de leurs enfants sans qu’aucune aide sociale ne leur soit allouée. Elles doivent recouvrer tous les droits civiques et notamment :
– le droit de vote,
– le droit d’occuper des emplois publics dans le cas où elles se retireraient du domaine prostitutionnel.

ART. 3. — Les prostituées doivent avoir le droit d’acquisition, de changement ou de conservation de nationalité. Dans le cas où la prostituée exerce son activité et sauf dans le cas de mauvais traitements à enfants, elle ne devra pas être déchue de ses droits maternels.

ART. 4. — La prostituée aura au même titre qu’une autre femme le droit :
– de choisir librement son conjoint, à condition que celui-ci justifie de moyens d’existence séparés ;
– de circuler librement sur tout le territoire et de franchir les frontières ;
– de bénéficier du régime de retraite des prestations sociales de maladie ou de vieillesse.
– de recevoir des allocations familiales dans les mêmes conditions que celles prévues pour les hommes.

ART. 5. – Pour que les femmes puissent bénéficier de tous ces avantages, elles cotiseront et adhéreront à des organismes sociaux tels que l’U.R.S.S.A.F. et les caisses de retraite complémentaire. Cette décision fera l’objet d’un décret d’application publié au Journal Officiel.

ART. 6. – Toutes les dispositions du Code pénal constituant une discrimination à l’égard des prostituées seront abrogées.
Toutes dispositions seront prises pour combattre sous toutes leurs formes le trafic des prostituées et l’exploitation de la prostitution des femmes.

ART. 7. — Toutes mesures appropriées seront prises pour assurer aux enfants des prostituées des droits dans le domaine de la vie économique et sociale.

CONFORMÉMENT AUX PRINCIPES DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES ET DE LA DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L’HOMME, LES GOUVERNEMENTS, LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES ET LES INDIVIDUS, SONT DONC INVITÉS A FAIRE TOUT CE QUI EST EN LEUR POUVOIR POUR PROMOUVOIR L’APPLICATION DES PRINCIPES CONTENUS DANS LA PRÉSENTE DÉCLARATION.
1er septembre 1975

Collectif des prostituées de France.
(Charte rédigée par Sonia, ne fut pas approuvée)

30 septembre

Quatre femmes prostituées de Paris et Lyon ont rendez-vous avec Pinot. Elles lui remettent un document avec leurs réalisations, leurs constatations et observations et leurs demandes immédiates, et un second qui est un projet de statut. Des femmes de Paris, Lyon, Marseille, Nimes, Grenoble, Cannes sont rassemblées devant le ministère.24

Brochure Liberté – Égalité – Fraternité pour toutes les Françaises : revendications du collectif des femmes prostituées en date du 30 septembre.1

Préambule

Concernant la prostitution, la France vit en principe sous un régime dit « abolitionniste » où toute réglementation est proscrite.

Mais en fait, les services du Ministère de l’Intérieur, et depuis peu, ceux du Ministère des Finances, pratiquent de plus en plus une certaine forme dissimulée de réglementation, sans que les personnes concernées en soient le moins du monde avisées. Les femmes prostituées sont ainsi mises devant des faits accomplis, qui vont s’accroissant d’année en année.

Sous des couverts fallacieux d’ordre public ou de justice pour tous, dans le but inavoué de se faire appuyer d’une grande partie de l’opinion publique, cette mise en place progressive d’une réglementation sauvage au bénéfice de l’Etat n’en est pas moins réelle, quant aux conséquences immédiates auprès des femmes prostituées.

Ceci pour dire que le mouvement actuel auquel nous assistons depuis plusieurs mois n’est pas né spontanément d’une humeur d’indépendance : Outre bien d’autres raisons déjà données dans de précédents documents, une raison majeure toutefois l’explique, à savoir la non-application intégrale de la loi, dans toute sa rigueur, et surtout selon son esprit.

C’est donc bien en réaction contre une réglementation de fait, que les femmes prostituées ont été amenées progressivement à s’organiser elles-mêmes à leur tour. Qui pourrait le leur reprocher ?

Si le mot de « statuts » fait peur à quelques uns, parce qu’évoquant de fait une réglementation, que ceux-ci s’interrogent d’abord pour savoir qui en porte la responsabilité. Autrement dit : « A qui la faute ? »

Les buts actuels de ce projet de statuts peuvent ainsi se résumer :

1) Etre un dispositif de défense contre toute réglementation que les femmes prostituées se verraient imposer d’autorité, par voie détournée, et contre leur gré ;

2) Faire cesser l’hypocrisie actuelle de la mauvaise application de la loi telle que celle-ci existe.

Les propositions sont regroupées sous quatre grands titres :

1. travail
2. finances
3. santé
4. social

I. Travail (libre et exercice de la prostitution)

Article premier. — Le fait de se prostituer est, pour une femme, un geste privé qui n’est pas interdit par la loi. On ne saurait par conséquent tenter de dissuader les personnes prostituées par une répression policière.

Art. 2. — Les femmes prostituées exigent que leur soit accordée cette liberté privée de se prostituer, comme le leur autorise la loi, et donc d’exercer leur activité où et comme bon leur semble, c’est-à-dire soit en appartement, studio ou chambre, aussi bien en location qu’en propriété propre ; de nombreuses jeunes femmes n’ayant pas toujours forcément les moyens de se payer un studio ou un appartement.

Art. 3. — Considérant que des jeunes femmes n’ont pas toujours les moyens matériels de disposer d’un studio ou d’un appartement, elles exigent que leur soit donnée la liberté de se prostituer dans des chambres d’hôtels, sans pour autant que l’hôtelier soit taxé automatiquement de proxénétisme hôtelier.

Art. 4. — Dans toute considération sur les lieux possibles de prostitution, la sécurité des femmes prostituées doit être regardée comme prioritaire. Par conséquent, il ne faut pas leur interdire de se grouper, notamment en partageant un même appartement si elles le désirent. Deux femmes prostituées vivant ensemble ne constituent pas automatiquement une assistance à proxénétisme ni une augmentation de profits, mais bien plutôt une assistance à la sécurité de chacune, leur permettant d’éviter par là bien des agressions dont les prostituées sont trop souvent victimes (ce qui explique les gros chiens de garde qu’elles ont très souvent avec elles).

Art. 5. — Le regroupement des jeunes femmes prostituées est avant tout commandé par des raisons de sécurité et de commodité. C’est leur affaire. A l’objection souvent formulée de favoriser par là une augmentation du nombre des prostituées (en pensant notamment aux mineures) elles répondent : Ce n’est pas par un régime d’interdictions qu’on empêchera une personne de se prostituer. On l’a déjà souvent malheureusement vu.

Art. 6. — Les femmes prostituées refusent catégoriquement que leur soient attribués des quartiers réservés qui ressembleraient à des ghettos plus qu’à autre chose et qui, par la suite, pourraient ouvrir dangereusement la porte à des maisons spécialisées au sein même de ces quartiers.

Art. 7. — A ce sujet, elles redisent avec vigueur : « Non à la réouverture des maisons closes » ou « Eros-centers » ou toutes maisons de travail, quelles qu’elles soient, qui voudraient ainsi commercialiser leur activité au profit d’autres personnes — que celles-ci soient l’Etat ou d’autres…

Art. 8. — Cette même exigence de non-commercialisation doit pouvoir également s’appliquer aux municipalités. Il n’est donc pas question d’avoir à supporter une patente municipale ou quelque taxe que ce soit, comme certains maires l’ont quelquefois envisagé.

Les femmes prostituées ne sont pas des sex-shops.

Art. 9. — Selon la loi en cours, les femmes prostituées ne sont pas des délinquantes. Il est donc inadmissible que la police exerce sur elles un contrôle permanent et qu’elles soient regardées par certains comme leur « Chasse-gardée » avec le souci d’en faire la « capture » avec à chaque fois une « prime de capture » en guise de récompense pour leur bon exploit de « chasseur ».

Cette manière de faire est une atteinte à leur dignité. En tant que personnes, les femmes prostituées revendiquent donc que leur soit appliqué le régime commun à tout citoyen/citoyenne, en matière de surveillance sur la voie publique, n’ayant pas à être surveillée plus que tout autre. (A-t-on jamais vu des ouvriers ou des vendeuses se faire contrôler plus particulièrement pendant leur travail par les services de police ?)


Art. 10. — Dans des jugements successifs et rendus publics les 28 juin et 12 juillet 1975, la Cour d’Appel de Lyon a supprimé les peines de prison que des Tribunaux de police avaient infligées à des femmes prostituées, estimant que la « prostitution n’était pas la débauche ». S’appuyant désormais sur des jugements appelés à faire jurisprudence, les femmes prostituées refusent qu’on les pénalise systématiquement en vertu de l’article R 34 du Code pénal sur cette fameuse « attitude de nature à provoquer la débauche », et qui plus est, qu’on les poursuive pour « récidive » (cf. article R 37 du Code pénal).

Art. 11. — Nombre de femmes sont pourtant aujourd’hui poursuivies pour « attitudes de nature à provoquer la débauche » ou même pour « racolage actif » sans que les délits aient été réellement commis par elles. Elles demandent donc :

— l’arrêt des poursuites engagées ;
— l’amnistie des peines prononcées ;
— et surtout, à l’avenir, la suppression de l’application particulière de cet article R34 qui leur est faite.

Les femmes prostituées veulent bien se soumettre à des articles de loi destinés à tout citoyen/citoyenne, mais refusent catégoriquement que leur soit appliqué un régime particulier pour la seule raison qu’elles sont des prostituées. Elles exigent donc que soient déterminées pour l’avenir — d’une manière absolument précise — ces « attitudes de nature à provoquer la débauche », susceptibles de pénalisation, et applicables à toute personne en France, quelle qu’elle soit, sans aucune forme de discrimination. Ce qui revient à dire que les femmes prostituées refusent toute forme de marginalisation qui voudrait faire d’elles une « espèce à part » du reste de la population.

Art. 12. — Le fichier concernant les femmes prostituées est depuis longtemps supprimé, en raison de l’article 5 de la loi du 13/4/1946 qui spécifie que « sont abrogées toutes dispositions réglementaires prévoyant l’inscription des personnes prostituées sur des registres spéciaux de police ou l’obligation pour elles de se présenter périodiquement aux services de police. Les registres et fiches seront détruits ». En vertu de cette loi, il est donc illégal que les services de police continuent à mettre « en fiche » chaque femme prostituée repérée sur le trottoir. Ils prétendent qu’ils en ont besoin pour leurs services internes d’organisation de la police. Mais alors, quelle différence y a-t-il avec l’ancien fichier ?

Il est de même inacceptable qu’une femme prostituée qui veut quitter la prostitution soit obligée d’aller se faire « déficher » (suivant le vocabulaire d’usage) au commissariat. Qu’est-ce que ces « fichages » et « défichages » veulent dire, par rapport à cette soi-disant liberté française de pouvoir disposer de son corps en vue d’une prostitution privée ?

(Qui plus est, il est également à peu près certain que les services de police gardent toujours les dossiers des femmes prostituées, pour raisons de sécurité publique, alors que tout dossier devrait être détruit.)

II. Finances (pénalisation ou fiscalisation ?)

Art. 13. — Les femmes prostituées ne sont pas des compteurs qu’on peut relever en fin d’année ! Il est donc absolument monstrueux de vouloir imposer une prostituée d’office, sur la base d’un nombre de « passes » forfaitaire, à un prix également forfaitaire.

Art. 14. — En ce qui concerne le désir manifeste et l’appétit féroce de l’Etat de vouloir imposer les femmes prostituées, il fut surprenant pour celles-ci de s’être vu classées dans les professions dites « libérales », comme cela a été fait du jour au lendemain, sans que personne de compétent n’ait été consulté.

Art. 15. — Il est évident que le rappel d’impôts sur QUATRE ANS, auquel nous assistons actuellement est abusif, et que celui-ci s’avère inacceptable. Les femmes prostituées n’étant pas jusqu’ici tenu à payer des impôts (leur activité n’étant pas considérée par la loi comme un revenu), ce rappel n’a donc pas lieu d’être. En conséquence, les femmes prostituées demandent sa suppression automatique et immédiate.

Art. 16. — Toutefois, puisque gagnant de l’argent, les femmes prostituées ne refusent pas de participer, comme tout citoyen/citoyenne à l’effort collectif, par une contribution financière. Le plus modeste travailleur ne verse-t-il pas sa « quote-part » à l’Etat ? Il ne serait pas juste que les femmes prostituées n’en fassent pas autant.

Art. 17. — Actuellement, de tous les côtés, l’Etat cherche à soutirer de l’argent aux femmes prostituées, alors que celles-ci sont tout disposées à en donner. Mais n’est-il pas intolérable que les prostituées soient en même temps pénalisées et fiscalisées ? En fait, cette double manière de tirer de l’argent de la prostitution, ne fait-elle pas de l’Etat le premier proxénète ? Si donc l’Etat veut imposer demain les femmes prostituées, il lui faut revoir au plus tôt sa politique de répression par les amendes… ou vice-versa ! De toute manière un choix s’impose.

Art. 18. — Par ailleurs, il faut dire qu’une imposition des femmes prostituées, évaluée forfaitairement, mais sans tenir compte en plus du caractère particulièrement éprouvant de leur activité, risque fort d’être profondément inhumaine. Il faut savoir en effet que leur activité est entre-coupée d’arrêts fréquents, leur corps mis à rude contribution, à tel point que les douze mois d’exercice ne sont en fait jamais complets. De plus, il faut également tenir compte que les prostituées sont toujours des femmes seules, ayant la plupart du temps des charges de famille.

Art. 19. — Pour 1975, après information auprès de toutes les jeunes femmes prostituées, celles-ci s’interrogent quant à la meilleure manière de calculer, et le mode, et les bases d’une imposition :
— soit par une déclaration sur l’honneur ?
— soit par un forfait ? mais aussi en soulignant que dans la prostitution, chaque femme est un cas particulier.

Art. 20. — Mais compte-tenu des difficultés ainsi que des solutions ci-dessus énoncées que nous refusons : pas de bases forfaitaires, surprise d’être « classées » parmi les professions dites « libérales », non-lieu d’un rappel, arrêts fréquents dans nos activités, charges de famille, etc… et conscientes de ne pas avoir en mains — pour le moment — tous les éléments d’appréciation pour l’élaboration d’une charte financière plus cohérente, les femmes prostituées demandent qu’une étude sérieuse soit faite d’ici les trois mois qui viennent, autour d’une table-ronde, entre elles et des gens qualifiés en la matière.

III. Santé (prévention des maladies vénériennes)

Art. 21. — Selon les statistiques officielles parues dans « Le journal médical» du 18 Juin 1975, et dont a fait état Mme Simone Veil, les femmes prostituées sont loin d’être les premiers agents de contamination des maladies vénériennes, contrairement aux opinions reçues. En effet les rapports libres avec des amis de rencontre représentent l’origine principale de cette contamination, soit 76 % en 1970, 81 % en 1972 et 84 % en 1973, ce qui ne laisse plus que 16 % susceptible d’être attribué aux femmes prostituées !

Art. 22. — Toutefois, il est vrai que leurs activités les exposant quotidiennement au péril vénérien, les femmes prostituées sont d’accord pour se soumettre aux lois tendant è combattre celui-ci comme tout citoyen/ citoyenne. (Leurs clients ne devraient-ils pas avoir aussi ce même souci ?)

Art. 23. — Pour cela, les femmes prostituées demandent à ce qu’on leur facilite l’examen régulier de leur situation sanitaire. A cet effet, si elles savent qu’elles ont à leur disposition dans toutes les villes principales de France des dispensaires ou des services spécialisés dans certains hôpitaux, elles savent aussi que l’atmosphère de ces établissements n’encourage guère les hésitantes à s’y rendre facilement. Des dispositions doivent être prises pour leur faciliter cette démarche.

Art. 24. — Entre autres dispositions possibles, et pour pallier à la difficulté d’un contrôle toujours délicat à effectuer, les femmes prostituées font une proposition concrète en réclamant la possibilité de se faire examiner gratuitement par tout médecin de leur choix, pour toutes les maladies vénériennes. Mais pour éviter à nouveau pour elles-seules un privilège à caractère plus ou moins discriminatoire, elles demandent que cette mesure soit étendue à tout citoyen/citoyenne, susceptibles d’être atteint par ce grave péril vénérien qui concerne l’ensemble de la population. A cet effet, un genre de médecine du travail serait envisageable, à l’exemple de celle pratiquée en Grande-Bretagne (cf West, dans son livre « Homosexualité », aux Editions Dessart, Bruxelles, p. 158), à savoir un genre de cliniques d’accueil, confidentielles, offrant gratuitement des traitements rapides.

Art. 25. — De toute manière, il n’est pas question de revenir à l’ancien système de carnet sanitaire, les femmes prostituées redisent catégoriquement non à l’ancien contrôle sanitaire, surtout si celui-ci devait être opéré par les services de police !

IV. Social (le droit à la protection sociale pour elles et leurs enfants)

Art 26 — Comme tout Français/Française, les femmes prostituées ont droit, en qualité de femmes et citoyennes à part entière, à la protection, à la santé, à la vieillesse décente. Que I’on soit célibataire, marié(e), avec charge ou non de famille, ce droit est inclus dans la déclaration des droits de l’homme.

Cette protection est due, qu’il y ait ou non activité salariée.

Art. 27 — En vertu de ce droit, les femmes prostituées demandent donc la bénéfice de la Sécurité sociale pour elles et leurs enfants.

(Elles estiment d’ailleurs que ce bénéfice pourrait également être étendu à toute personne n’en profitant pas encore.)

Art. 28 — En ce qui concerne les Allocations familiales et autres prestations liées au fait que la majorité d’entre elles ont des enfants (comme par exemple les bourses scolaires), les femmes prostituées demandent que leur situation soit reconnue au même titre que celle de beaucoup d’autres femmes « chefs de famille ». Que leurs droits, au niveau des enfants, soient exactement les mêmes que pour d’autres et qu’elles en soient informées régulièrement par l’intermédiaire de services compétents, comme ils devraient exister dans tous les départements selon les ordonnances de 1960.


Art. 29. — En ce qui concerne les Allocations Familiales et autres prestations liées au fait que la majorité d’entre elles ont des enfants (comme par ex. les Bourses scolaires), les femmes prostituées demandent que leur situation soit reconnue au même titre que celle de beaucoup d’autres femmes « chefs de famille ». Que leurs droits, au niveau des enfants, soient exactement, les mêmes que pour d’autres, et quelles en soient informées régulièrement par l’intermédiaire de services compétents, comme ils devraient exister dans tous les départements selon les ordonnances de 1960.

Art. 30. — Il est évident que si toutes les jeunes femmes prostituées avaient tous leurs droits aux prestations sociales, il y aurait beaucoup moins de problèmes pour la réinsertion de ces dernières.

Une jeune femme, en effet, qui percevrait toutes ses prestations normalement, si elle voulait s’arrêter de travailler, le pourrait beaucoup plus facilement, ne se sentant plus isolée ni pestiférée.

Fait en date du 30 Septembre 1976.

Les « belles de nuit » chez Guy Pinot : Après une entrevue entre la délégation des prostituées et Guy Pinot, « Monsieur Prostitution » du ministère de la Santé, interview d’ ULLA, porte-parole des prostituées. – Archives INA, 30 septembre 1975

Octobre

18 octobre

Ulla menace de perturber une élection partielle si le ministre de l’Intérieur n’ordonne pas de trêve de la répression policière. Elle annonce que 300 prostituées offriront une passe gratuite à tous les votants…6

21 octobre

Six femmes sont convoquées pour audition par Guy Pinot. Trois déléguées viennent de Lyon, dont Barbara, et trois femmes sorties de la prostitution viennent de Paris, dont Michèle et Gégé. Sur place, elles découvrent que Pinot est absent mais qu’il a délégué trois magistrats collaborateurs dont un habitué de la thématique des mœurs. Les femmes sont déçues de la teneur des échanges. Michèle leur reproche notamment de ne s’intéresser qu’aux femmes sur le trottoir et trop peu à la réinsertion.15 Barbara leur reproche de voir la prostitution comme un mal et ironise qu’il faudrait instaurer un service civique et mettre les bourgeoises à contribution.13

Les déléguées de Lyon lui remettent un dossier.13 Télécharger le dossier en PDF.

Les « anciennes » de Paris lui remettent un autre dossier. [Scan du dossier à venir]

Sortie du livre de Claude Jaget, Une vie de putain.

Novembre

18 Novembre : Assises nationales de la prostitution à la Mutualité (Paris)

Distribution-vente de la brochure « Liberté-égalité-fraternité pour toutes les Françaises »

Assises de la prostitution : A l’occasion des assises de la prostitution la Mutualité, interview de Sonia, porte-parole. Elle demande que les prostituées obtiennent un statut et le droit au respect et à la dignité. Images de prostituées faisant le trottoir. – Archives INA, 18 novembre 1975

Quelques images d’une banque d’archive

Le planning familial prend en charge la location de la Mutualité

Banderoles :

  • Non aux proxénètes
  • Non aux maisons closes et aux quartiers réservés
  • Liberté et justice
  • Etats proxénètes = prostitution à vie
  • Femmes prostituées oui, putains non
  • Finie l’hypocrisie
  • Pas de ghettos, pas de quartiers réservés, pas de maisons closes
  • Liberté pour les femmes prostituées

La soirée commence à 19h. À 20h, elles sont 600 et d’autres font la queue pour rentrer par la porte de côté. Ulla porte une robe de soirée et est assaillie de photographes. Au programme, la projection du film « Accattone » de Pasolini ne dure que 20 minutes avant d’être interrompu par les prostituées, outrées par ce choix qui ne les représente pas.22

« Beaucoup de femmes réclamaient la réouverture des hôtels, pour leur propre sécurité. »13

Guy Pinot est absent.

Sonia démissionne du collectif parisien immédiatement après les assises. « Nous avions invité quatre cent quatre-vingt-dix députés, des sociologues, des médecins, des prêtres, Alain Delon, Mireille Darc, Georges Brassens, Yves Mourousi, Philippe Boucard, Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig.
Seuls Stéphane Collaro, Jean Rigaud et Ménie Grégoire répondirent à notre invitation. Cela commença comme une kermesse pour se terminer en chienlit. »17

Fin novembre

Barbara et quatre autres femmes sont reçues par Guy Pinot lui-même. Elles leurs exposent des carences sur les questions de prévention et de réinsertion.13

Table ronde organisée par Guy Pinot devant 60 personnes. Michèle y est avec 3 autres militant·es du Nid.15

1976

Janvier

2 janvier

Remise du rapport de Guy Pinot pour la Mission d’information sur la prostitution. Il doit ensuite être examiné par le conseil des ministres, ce qui ne sera jamais fait.13 [Scan/OCR à venir]

Mars

Le rapport Pinot est communiqué à la presse, mais peu s’en emparent.13

10 mars

Publication du livre d’Ulla par Ulla.

27 mars
Communiqué de Presse en réaction aux fuites du rapport Pinot dans la presse (Collectif de Lyon – identification incertaine)

LE RAPPORT DE MONSIEUR PINOT RECONNAITRAIT QUE LES REVENDICATIONS DU COLLECTIF DES FEMMES PROSTITUEES SONT JUSTES !

Mis brutalement, en 1975, en face des manifestations des femmes prostituées, le Président de la République demandait le 23 juillet à un magistrat d’Orléans, Mr. Guy Pinot, de lui établir un rapport d’information et d’orientation. Celui-ci lui fut effectivement remis on janvier dernier, mais depuis, l’étude de ce rapport a été continuellement repoussée, et l’on pouvait se demander si le Conseil des Ministres ferait connaître un jour les conclusions auxquelles Mr. Pinot avait abouti…

Or voilà que là journal « LE MONDE », bénéficiant sans doute d’une fuite, vient de publier le 26 mars de larges extraits commentés de ce rapport, sous le titre suivant : « LE RAPPORT de Mr. PINOT PREND LARGEMENT EN COMPTE LES REVENDICATIONS DES PROSTITUEES » – Si l’on s’en tient aux extraits du MONDE, ce titre s’avère absolument justifié ! Ainsi donc, au terme de son enquête, Mr Pinot aurait reconnu que les revendications des prostituées étaient justes, et ses propositions iraient dans le même sens que celles publiées par le Collectif dans son document : « Liberté, égalité, fraternité pour toutes les françaises » (Projet de statut)

« UNE VERITABLE CHASSE AUX PROSTITUEES » CONTRAIRE A LA LOI !

Selon le MONDE, Mr Pinot commencerait par reconnaître que, ces derniers temps, « une véritable chasse aux prostituées » s’est développée en France, et que cette orientation répressive est en contradiction avec l’esprit du régime abolitionniste adopté par notre pays (abolition de toute réglementation de la prostitution, celle-ci étant un acte privé et affaire de liberté individuelle ou de morale personnelle). Mais progressivement, on s’est orienté vers ce que Mr Pinot appellerait « un prohibitionnisme inavoué » (cad. une interdiction, et surtout une répression de la prostitution). Dans leur document, les Femmes prostituées avaient dénoncé « une certaine forme dissimulée de réglementation  » (cf. préambule). Dès lors, toutes les propositions de Mr Pinot tendraient à réhabiliter l’abolitionnisme.

« NON AUX MAISONS CLOSES » – SUPPRESSION DES CONTRAVENTIONS POUR « RACOLAGE PASSIF ».

D’emblée, le rapport de Mr. Pinot repousserait l’idée du la réouverture, des maisons closes, et celle do la création d’éros-centers, et il proposait l’abrogation (suppression) pure et simple de l’article R 34 – 13 du Code pénal « qui permet de sanctionner une prostituée en raison de sa seule présence dans la rue ». C’est exactement ce que le Collectif des prostituées a demandé dans les articles 7 et 11 de son  » Projet de Statut » tendant au respect de la liberté et de la dignité des femmes exerçant la prostitution ».

En revanche, le rapport préconiserait le maintien de la contravention pour racolage actif (article R 40 – 11 du Code pénal) en demandant toutefois que les éléments constitutifs de l’infraction soient précisés. Dans l’article 11 de leur projet, les Femmes prostituées ont bien dit qu’elles n’étaient pas opposées à la pénalisation de certaines attitudes sur la voie publique, à condition que ces attitudes coupables soient « déterminées d’une manière absolument précise » et qu’elles soient applicables à toute personne en France, prostituée ou non. Il n’est donc pas sûr que là, Mr. Pinot aille à l’encontre des revendications du Collectif : il faudrait pouvoir disposer de son rapport pour pouvoir se prononcer avec certitude.

LA QUESTION DU PROXENETISME et CELLE DES HOTELS

Dans son document, le Collectif des prostituées relevait que la lutte contre le proxénétisme était souvent le prétexte à la lutte contre les prostituées ! Mr Pinot, dans son rapport, le reconnaîtrait, estimant que si la répression du proxénétisme « dans ses formes les plus dangereuses et les plus choquantes, doit certes demeurer l’un des objectifs de l’action de la police et de la justice », elle ne doit pas pour autant « dépasser la limite au delà de laquelle elle provoque ou aggrave la dégradation de la condition des prostituées ».

Il faudrait alors, en toute logique, laisser à la prostitution « des lieux décents où s’exercer, dès lors qu’elle n’est pas interdite ! ». Et plutôt que de réprimer de façon pénale les hôteliers qui tireraient profit de la prostitution, il s’agirait de les imposer fortement. Là encore, le rapport de Mr. Pinot serait en accord avec les articles 2, 3, 4 et 5 du projet du Collectif.

L’ IMPOT SUR LE REVENU

Si Mr Pinot paraît opposé à une injuste répression, par contre, il se montrerait favorable à l’imposition des prostituées, sur la base de déclarations de revenus. « Il n’est nul besoin, écrirait-il, de reconnaître la prostitution comme une profession pour que ses gains soient imposables ». Il suffirait de classer ces gains dans la catégorie des bénéfices non-commerciaux. Des mesures d’assouplissement devraient être envisagées dans une période de transition : possibilité de « remise gracieuse » pour les rappels d’impôts sur quatre ans, abandon de la contrainte par corps on matière fiscale… Mais il faudrait avoir une connaissance complète du rapport pour pouvoir se prononcer… Il semblerait toutefois, d’après les articles du MONDE, que les propositions de Mr. Pinot ne vont pas à l’encontre des articles 14, 15, 16 et 17 du projet des prostituées, mais au contraire les rejoignent : « Puisque gagnant de l’argent, les prostituées ne refusent pas de participer à l’effort collectif, comme tout citoyen/citoyenne, par une contribution financière » (article 16)

DROITS SOCIAUX

Dans son chapitre sur les droits sociaux des prostituées, Mr. Pinot réaffirmerait sa volonté de ne pas considérer la prostitution conne une profession (afin d’éviter qu’un tel « étiquetage » décourage tout effort de changement d’activité chez les fermes prostituées), mais il ne serait pas, pour autant, opposé à ce que les prostituées bénéficient des avantages sociaux dûs à la majorité des citoyens. Au contraire ! il relèverait les droits des femmes prostituées à la Sécurité sociale, aux prestations familiales et à la retraite dès lors que tous ceux qui n’en bénéficient pas encore, en bénéficieraient ! C’est, à peu de chose près, ce que le Collectif disait dans son article 27 de son projet de statut!

En attendant que les femmes prostituées (et autres personnes ne bénéficiant pas encore de ces droits sociaux) en disposent, Mr. Pinot proposerait d’assouplir les conditions d’inscription à l’assurance maladie volontaire, et à l’assurance volontaire vieillesse.

PREVENTION

D’après le MONDE toujours, le rapport de Mr. Pinot se terminerait par l’esquisse d’une véritable politique de prévention de la prostitution: création et prisa en charge totale par l’Etat des services publics spécialisés, protection accrue des mineures, etc…

ET MAINTENANT ? Mr. Giscard d’Estaing et son gouvernement trouveraient-ils le rapport de Mr. Pinot effectivement trop favorable aux femmes prostituées ?

Voulaient-ils le laisser dormir dans les tiroirs ? Auraient-ils préféré ne pas en tenir compte dans les décisions qu’ils devraient proposer aux députés dans les semaines qui viennent?

Toutes choses qui restent à prouver… les jours prochains nous le diront ! MAIS SI TELLE ETAIT LEUR INTENTION, ALORS LES FEMMES PROSTITUEES AURAIENT ENCORE A SE BATTRE!

(Fait le 27 mars 1976)

Avril

1er avril

Canular du 1er avril par le maire de Lyon Louis Pradel annonçant l’ouverture d’un Eros center à Lyon (archives INA)

4 avril

Le Collectif des femmes prostituées de Lyon appelle au soutien des organisations locales pour leur action du 8 juin à l’ANPE.

8 avril

40-50 prostituées occupent une antenne de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) en exigeant qu’on leur offre une alternative professionnelle6. Barbara est présente. Une vingtaine de journalistes les accompagnent. Les femmes ont été bien reçues. Deux tracts furent distribués : l’un pour dénoncer la blague du maire, l’autre pour rappeler que l’État n’a toujours rien fait.13

Tract rédigé pour l’action ANPE expliquant leurs revendications

LES FEMMES PROSTITUÉES DE LYON

  1. DENONCENT LA POLITIQUE DE REPRESSION QUI LEUR EST TOUJOURS APPLIQUEE
    La loi actuelle dit :  » La prostitution n’est pas un délit « .
    En fait, son exercice est interdit.
    Les prostituées sont toujours accablées de P.V. et maintenant les appartements de plusieurs d’entre elles sont « saisis « .
    D’autre part, elles sont imposées (avec rappel sur quatre ans !) sur le bénéfice qu’elles tirent de son exercice légal, et pourtant interdit !
    « Nous dénonçons une fois de plus l’application hypocrite, répressive et négative, de la loi actuelle ».
  2. DENONCENT L’HYPOCRISIE D’UNE SOCIETE QUI NE SAIT QUE LEUR DIRE :
    « FAITES AUTRE CLOSE » , MAIS SANS LEUR EN DONNER LES MOYENS !
    « La société qui a fait de nous des prostituées, est-elle en mesure de nous proposer sérieusement autre chose que de bonnes paroles et de bons conseils, surtout à une époque où l’on compte plus d’un million de chômeurs ? »
    (Toutes les statistiques confirment en effet que les principales victimes du sous-emploi sont d’abord les femmes, dans un pourcentage important.)
  3. DENONCENT LE SILENCE ET LE MEPRIS DU GOUVERNEMENT QUI REFUSE DE SE
    PRONONCER SUR LE RAPPORT DE MONSIEUR PINOT (Mr. Prostitution)
    Mis brutalement, en juin 1975, en face des manifestations des femmes prostituées, le Président de la République demandait un rapport d’information et d’orientation. Ce rapport fut établi par Mr. Pinot, et remis en janvier 1976, au gouvernement.
    « Depuis, nous avons été renvoyé de Mr. Pinot à Mme Veil, puis à Mme Même, et nous sommes toujours dans l’attente des décisions. Si la presse a publié dernièrement quelques extraits de ce rapport, nous, les principales intéressées en cette affaire, n’en avons jamais eu connaissance, et nous nous demandons toujours : « A quelle sauce se prépare-t-on à nous manger ? »
    En ce jour du 2 avril 1976, jour de la rentrée parlementaire, nous exigeons une réponse gouvernementale dans les meilleurs délais, et en appelons à l’Assemblée nationale.
    DE TOUTE MANIERE , LA SITUATION ACTUELLE NE PEUT PLUS DURER !
    et une fois de plus nous redisons :
    – NON A LA PRISON
    – NON AUX MAISONS CLOSES
    – NON AUX QUARTIERS RESERVES

DANS LES SEMAINES QUI VIENNENT, SOYEZ PRETS A VENIR SOUTENIR NOTRE ACTION !

Le 2 avril 1976 – Au nom des prostituées de Lyon : LE COLLECTIF

Débat d’étudiants avec des prostituées à l’université de Lyon II en avril 1976, retranscrit par Lilian Mathieu.

Mai

15 mai
Le collectif des femmes prostituées adresse une lettre ouverte au Président de la république et une autre aux parlementaires.13

Aux présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Mesdames, Messieurs,
Vous avez suivi pendant un an le combat des femmes prostituées pour leur liberté et leur dignité. Vous avez su que Monsieur le Président de la République avait chargé un magistrat, M. Guy Pinot, d’étudier la situation qui nous est faite. M. Pinot a établi un rapport, qu’il a remis au Président de la République le 1er janvier 1976. Ce document devait être rendu public. Or il n’en a rien été jusqu’à présent, et l’on peut même se demander s’il n’y a pas une volonté de l’étouffer. Plusieurs observations de M. Pinot, en effet, sont favorables aux femmes prostituées. Jusqu’ici, aucune administration, et encore moins les élus de la Nation, n’ont reçu communication de ce rapport. Pour notre part, nous avons cependant réussi à nous en procurer un exemplaire, et nous pensons qu’il est juste de vous en adresser une copie, afin qu’à votre tour vous puissiez vous prononcer courageusement sur les problèmes qui sont les nôtres, mais où vos responsabilités d’hommes politiques sont aussi engagées. Confiantes dans l’attention que vous voudrez bien porter à ce rapport ainsi qu’à notre situation, nous vous prions d’agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de nos sentiments distingués.

Le Collectif des femmes prostituées de Lyon

Juin

30 juin

Sortie du film Prostitution de Jean-François Davy

1977

Avril

Publication du livre de Barbara, La Partagée, aux Éditions de Minuit.

1982

Occupation de la Church of the Holy Cross par une quinzaine de femmes du English Collective of Prostitutes à King’s Cross à Londres, pour protester contre la répression policière et le racisme.

Sources

  1. Le mouvement des prostituées en France. In: Cahiers du féminisme, n°5, 1978. Dossier Prostitution (juin – juillet – août 1978) pp. 32-33.
    DOI : https://doi.org/10.3406/cafem.1978.2889
  2. Mémoire des sexualités, années 70-75.
  3. JAGET, Claude, Une vie de putain, La France sauvage, 1975.
  4. Les cahiers du GRIF, 1975, #8 pp. 61-62
  5. Le quotidien des femmes, n°4, jeudi 26 juin 1975.
  6. MATHIEU, Lilian. Répertoire et mémoire. Répertoire des mouvements sociaux et formes de résistances contre les pouvoirs, Aysen Uysal, Apr 2015, Izmir, Turquie.
  7. Conférence « Un mouvement improbable à Lyon : la révolte des prostituées de 1975 », Laurent Burlet, Danièle Authier, Christiane Ray, Lilian Mathieu, Père Christian Delorme, Bibliothèque de Lyon, le 20/11/2021.
  8. Le fonds Louis Blanc : les archives d’un prêtre militant par Iliana Ferrant-Bouchau, L’Influx, 30/10/2021
  9. Mémoire des sexualités, Entretien avec Michel Chomarat (Mathias Quéré).
  10. À Lyon, 2 juin 1975 – 2 juin 2015 : 40ème anniversaire de l’occupation de l’église Saint Nizier à Lyon par les personnes prostituées, Mouvement du Nid, 1er juin 2015.
  11. MATHIEU, Lilian. Débat d’étudiants avec des prostituées à l’université de Lyon II en avril 1976, Clio, 17 | 2003, 175-185.
  12. MATHIEU, Lilian. Mobilisations de prostituées. Belin, 2001.
  13. Barbara & Christine DE CONINCK. La partagée. Les éditions de minuit, 1977.
  14. CORBIN, Alain. Les filles de noces : misère sexuelle et prostitution aux XIXe et XXe siècles. Aubier Montaigne, 1978
  15. MICHELE. La vie continue : Histoire de Michèle. Fayard, 1976.
  16. ULLA, Ulla par Ulla, 1976.
  17. SONIA. Respectueusement vôtre. Presses de la cité, 1976.
  18. CHANTAL et Jean BERNAD. Nous ne sommes pas nées prostituées. Les éditions ouvrières, 1978.
  19. Articles du journal Le Monde
  20. ULLA, L’amour amer, Éditions Garnier, 1980
  21. Panorama Rhône-Alpes #14, Archives municipales de Lyon
  22. Fonds MAN et Christian Delorme, Archives Municipales de Lyon
  23. Le quotidien des prostituées in :
  24. Le Quotidien des femmes n°8, mardi 18 novembre 1975

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