Chronologie des luttes de 1975


Les symboles ▶ indiquent la présence d’un texte d’archives auquel on peut accéder en cliquant dessus.

1972

Août

Affaire de Lyon : scandale où des policiers du service des mœurs ont « protégé » les activités de tenanciers d’hôtels de passe du centre ville, certains étant eux-mêmes copropriétaires de tels établissements. Ils sont suspendus et poursuivis. Fermeture des hôtels de passe qui étaient tolérés dans les ruelles du centre-ville.6 Les prostituées sont donc contrainte à exercer ailleurs : à l’extérieur, en voiture ou chez elles. Intensification de la répression par PV.

25 août : Manifestation d’une trentaine de prostituées (sur 400) à Lyon, tournée en ridicule par la presse. Des policiers ont proposé d’escorter une délégation à la préfecture, mais les amènent alors plutôt au poste de police et les mettent en garde à vue.6

1974

Avril

Meurtre de Renée Grangeon1

Mai

Meurtre de Chantal Rivier1

Réunion entre prostituées, avocats, militants du Nid et journalistes.1

Rédaction d’un texte collectif axé sur la sécurité et distribution au Syndicat de la Magistrature, à la presse et sous forme de tract aux prostituées1

Août

Nouveau meurtre1

Rencontre avec les responsables lyonnais de la répression contre la prostitution

1975

« La colère monte encore d’un cran lorsque plusieurs prostituées reçoivent des rappels d’impôt basés sur une évaluation sommaire de leurs revenus »6

Février

Utilisation contre les prostituée d’une vieille loi permettant de condamner à la prison en cas de récidive pour la même condamnation dans la même ville et la même année.1,6

Mars

Trois jeunes filles ont été frappées par la loi de récidive – 3 jours de prison par PV.11

Avril & mai

28 avril : le collectif de prostituées sollicite un rendez-vous avec le préfet du Rhône.10

29 avril : Ulla est désignée pour participer à visage caché à l’émission Les dossiers de l’écran en compagnie de André-Marie Talvas, fondateur du Nid. Le programme diffuse Les Compagnes de la nuit (Ralph Habib, 1953). « L’impact sera inattendu. Le grand public ne comprendra pas et sera choqué par cette putain qui ose penser et parler. Mais toutes les prostituées de France ont entendu Ulla ; l’émission jouera un rôle de catalyseur, […] »1.

Tentative de contact des ministères sans succès.1

Premières peines de prison envers les prostituées.1

Réunion de 80 prostituées.1

6 mai : réponse du préfet qui est prêt à recevoir le Nid mais pas les prostituées. Le Nid décline.10

15 mai : Conférence de presse avec le Nid.

23 mai, dans Libération : « Nous ne recommencerons pas des actions comme les manifestations qui ne servent qu’à faire rire de nous. Mais, même de façon tragique, nous saurons faire front ! »6

29 mai : décision d’occuper l’église Saint-Nizier.10

Juin

Photo de Saint-Nizier avec la banderole « Nos enfants ne veulent pas leur mère en prison ».
2 juin

Au départ, le rendez-vous est donné à l’église Bonaventure (maintenant basilique), mais il s’agit d’un leurre pour les policiers, auquel collaborent les journalistes locaux qui garent leur voiture devant cette église.6,7 En réalité, les prostituées sont redirigées à 500 m, vers l’église Saint-Nizier et 100-150 prostituées y entrent pour l’occuper.1 Une banderole y est accrochée « Nos enfants ne veulent pas leur mère en prison ».

Pourquoi Saint-Nizier ? La prostitution lyonnaise s’exerçait à l’époque en plein dans ce quartier. Certaines prostituées venaient y prier à une statue de Saint-Expedit6,7. L’évêque auxiliaire est un ancien aumonier du Nid.

Distribution de la lettre à la population.

Ce sont des mères qui vous parlent. Des femmes qui essaient d’élever, seules, leurs enfants le mieux possible, et qui ont peur aujourd’hui de les perdre. Oui, nous sommes des prostituées, mais si nous nous prostituons, ce n’est pas parce que nous sommes des vicieuses : c’est le moyen que nous avons trouvé pour faire face aux problèmes de la vie.

La société a l’habitude de nous juger, et de nous rejeter dans un ghetto de mépris ou de pitié. Nous sommes considérés comme des femmes « sales », « anormales », et cependant les gens disent : « il en faut ».

Parce qu’ »il en faut », la loi française n’interdit pas la prostitution et, en principe, nous sommes des citoyennes comme les autres. Mais parce que la société a honte de « nous vouloir », on nous traite comme des délinquantes, comme des êtres sur lesquels la police peut exercer tous les pouvoirs répressifs.

M. Poniatowski veut-il redorer le blason de la police lyonnaise éclaboussée par « l’affaire de Lyon » de 1972 (la découverte de policiers proxénète) ? Veut-il se faire élire maire dans une ville propre ? Veut-il nous acculer à demander la réouverture des maisons closes, source de revenus intéressants pour l’État ? Toujours est-il qu’il a ordonné à la police lyonnaise nous accablé de procès-verbaux (nous en avons trois ou quatre par jour, d’un montant de 160 F l’un : l’État n’est pas perdant), et même de nous jeter en prison.

Depuis quelques semaines, en effet, nous sommes les unes après les autres traînées devant les tribunaux de police de Lyon et de Villeurbanne pour y répondre de récidive à l’article R 34 du Code pénal, qui sanctionne « l’attitude de nature a provoquer la débauche ». Qu’est-ce qu’une telle « attitude » ? Qu’est-ce qu’une telle « débauche » ? Les juges sont bien incapables de répondre, et nous sommes condamnées à des peines de prison sous l’accusation ridicule d’avoir fait des sourires aux passants de sexe masculin !

Nous n’irons pas en prison pour cela ! Des femmes devraient être actuellement incarcérées : nous les avons soustraite à la police, et aujourd’hui, nous nous sommes réfugiées dans une église. Elles n’iront pas en prison ! aucune d’entre nous n’ira en prison ! Ou alors la police devra nous massacrer pour pouvoir nous y entraîner. Nous, nous lui opposerons une résistance passive.

Nous sommes les victimes d’une politique injuste. Nous ne vous demandons pas de défendre la prostitution, mais de comprendre qu’ils n’ont pas le droit de nous faire ce qu’ils nous font en ce moment. Personne n’a jamais pu changer de vie en recevant des coups de matraque.
Soyez avec nous contre l’injustice qui nous accable! Après nous pourrons discuter pour savoir si la société a besoin de la prostitution…

DANS L’IMMÉDIAT, NOUS EXIGEONS :

  • La suppression immédiate des peines de prison
    « nos enfants ne veulent pas leur mère en prison »
  • La fin de l’arbitraire en matière de procès-verbaux (plus d’amende parce qu’on sait que telle personne se livre à la prostitution)
  • Le respect des personnes, dans les attitudes, les actes, les paroles…

LE COLLECTIF D’ACTION des prostituées de Lyon

L’église Saint Nizier occupée par des prostituées : Depuis ce matin à Lyon, quatre-vingts prostituées occupent l’église Saint Nizier pour protester contre la répression exercée par la police dans l’exercice de leur métier. Reportage illustré par des images de prostituées allongées dans l’église et par les interviews du curé de la paroisse, d’une prostituée. – Archives INA,  2 juin 1975

Jours suivants

Occupations à Grenoble, Marseille, Montpellier, Toulouse, St Etienne, Cannes.

Marseille – 6 juin

Une centaine de prostituées8 occupent une église près de la Canebière6.

Grenoble, 6 juin – Église Saint-Joseph

Une dizaine de prostituées occupe l’église6.

Paris, 7 juin – chapelle Saint-Bernard à Montparnasse
Revendications du comité des femmes prostituées de Paris

Ce que nous réclamons
• Abolition de l’article « 34 » : incitation à la débauche.
• Plus d’amendes, plus de procès-verbaux.
• Nous proposons : impositions non abusives donnant droit à la sécurité sociale et à la retraite, comme toutes les françaises mères de famille.
• Nous constatons que la prostitution est un métier dû au déséquilibre sexuel de la société.
• Nous voulons être citoyennes à part entière.
Nous refusons fermement
• la réouverture des maisons closes, même sous forme très moderne luxueuse d’Eros Center ;
• d’être des fonctionnaires du sexe sans aucune liberté ;
• d’être nationalisées
• d’être municipalisées.
Nos revendications immédiates
• Le retrait des peines de prison encourues par les personnes de Lyon.
• Suppression de la loi concernant la prison sur récidives.
• Voir un représentant du gouvernement capable de comprendre les problèmes des prostituées et trouver un terrain d’entente.
• Réouverture des hôtels dans les tiers de prostitution uniquement.
• Application des lois permettant la réinsertion de la femme prostituée dans la société.5

Des prostituées à la Chapelle Saint-Bernard : A propos de la révolte des prostituées, occupant la chapelle Saint-Bernard à Paris, le père FEILLET pendant son sermon déclare « nous sommes dans une situation d’accueil et d’hôte ». – Archives INA, 8 juin 1975.

Lettre de soutien signée de 47 prostituées parisiennes, juin 1975

« Nous venons vous informer que nos voix et nos cris indignés par le régime policier viennent se joindre au mouvement de lutte organisé par nos consœurs de Lyon. Vous, amies de tous quartiers, qui en avez par-dessus la tête de vous faire passer de nombreuses amendes reconnues par le gouvernement et ses chefs, de vous faire insulter lors des contrôles de police, de prendre des coups, de subir des menaces, d’être complètement sur le qui-vive jour et nuit, d’avoir une perpétuelle angoisse, même au moment où vous faites vos courses pour vous et vos enfants. Nous le proclamons bien haut, nous faisons un travail et non un acte de débauche. Une fois fini ce travail nous retournons au travail et à la cuisine. Nous demandons que finisse le temps des coups. »3

Texte non signé d’une alliée féministe

En trois jours, je n ai pas trouvé le temps d’aller à la Chapelle Montparnasse, malgré mon enthousiasme pour la lutte des prostituées. J’avais de très bonnes raisons, mais tout de même, c’était troublant.

D’autant plus que mon enthousiasme s’est assez vite mêlé de critiques : elles ne remettent en cause le proxénétisme qu’en ce qui concerne l’Etat, elles ne veulent pas l’abolition, mais la législation de la prostitution…

Puis j’ai compris quelques éléments de ma résistance à aller à la Chapelle Montparnasse :

Je me sens en fait une fascination très ambigüe pour les prostituées, qui m’éloigne d’elles et m’attire à elles tout à la fois. Comme un vertige, et c’en est un.

Éloignement parce que, ne serait-ce qu’en passant dans la rue à côté d’une femme prostituée, je me sens rejetée du côté des femmes « honnêtes », qui jamais ne feraient ce qu’elles font. Position qui m’est très inconfortable de la bonne fille qui a l’approbation de l’ordre établi, respectablement mariée, enfin « bien » quoi. Position donc qui, par sa complicité avec le pouvoir en place, a besoin comme lui que la prostitution existe, mais discrète et ignorée. « On n’en veut rien savoir ».

En cela la révolte des prostituées me trouble, dérange le compromis que j’ai passé avec les hommes au pouvoir : mon corps n’est pas accessible à tous, je suis respectable ; en échange, je vends mon âme : j’ai accès à leur monde, à une certaine représentation sociale, une sécurité dans mon opinion de moi-même qui se fonde sur leur jugement. Ce n’est pas de l’argent, en fait ce n’est qu’une monnaie de singe, un miroir aux alouettes qui me dépossède de moi-même. J’essaie de me conformer à une façon de vivre, de penser, de ne pas aimer, où je ne me reconnais en rien, qui m’étouffe totalement. Je collabore avec un système qui écrase les unes et prostitue les autres. A la fois du côté des macs et prostituée moi-même. Parce qu’il faut bien « gagner sa vie » d’une façon ou d’une autre. (Payer le droit de survivre ?) Mais comment ? Question insoluble.

C’est pourquoi je me suis parfois demandé : puisque je me vends, pourquoi ne pas vendre mon corps ? Là je bute : c’est bien un pas qu’il faut « oser » franchir, comme dit K. Millett. Il faut oser perdre toute respectabilité, rompre avec toute reconnaissance possible du corps social tout entier. Et là ça me paraît trop, tant que j’arrive à me débrouiller autrement.

Et je m’aperçois qu’en fait, j’ai refusé presque toutes les prostitutions : celle du corps, celle de ma matière grise, de services divers. Je ne prostitue que mes doigts sur une machine à écrire, le minimum. (Sans bien comprendre d’ailleurs l’ampleur et l’obstination de ce refus). Mais à quel prix ? Quantité de vie perdue, coupures schizoïdes, rages étouffées, les nerfs qui s’usent, les humiliations aussi, les privations. C’est cela gagner sa vie le plus honnêtement possible.

Mais je suppose qu’il y a loin encore entre ça et ce que vivent les prostituées. Car il n’y a pas que la question de l’image sociale. Je veux parler de la sexualité noire, dégradée et honteuse. coupée du reste de la vie et des désirs. Mais cela aussi exerce sur moi une sorte de fascination, comme une curiosité de savoir ce qui se passe entre une prostituée et le client, d’en voir aussi les marques sur elle. Car j’ai beau penser autrement (et vivre aussi en partie, heureusement), la conception de la sexualité qui fait que la prostitution est ce qu’elle est, existe aussi quelque part en moi : refoulement et perversion à la fois. Répulsion et tentation.

Pour ça aussi je n’avais pas vraiment envie d’aller à la Chapelle : ne voyant pas comment être avec elles autrement qu’en voyeuse ou en militante politique (ce que j’ai été longtemps) qui discute tactique, revendications, conditions de travail, apitoyée certes mais avec la supériorité de qui sait mieux que les intéressées ce qui est bon pour elles, donc en position masculine. De ce parasitisme récupérateur je ne voulais pas non plus.

Et j’ai fini par me souvenir que j’ai déjà été considérée comme une prostituée, ouvertement ou implicitement : quand il me suffisait d’en avoir envie pour faire l’amour avec un homme, ça me semblait « naturel » au début. (Mais en avais-je vraiment toujours le désir : n’avais-je pas aussi la peur d’être rejetée comme « prude » si je ne le faisais pas. le besoin de m’assurer que j’étais « bien », donc consommable, ou simplement parce que c’était le plus sûr moyen de trouver une place en leur compagnie ?). Ils me traitaient de putain :

Parce que je couchais avec eux (je n’étais donc plus une fille bien, j’aurais dû refuser).

Parce que je ne faisais pas forcément tout ce qu’on voulait me faire faire, de quelque point de vue que ce soit.

Parce que j’avais le culot de demander autre chose que le seul rapport physique dans lequel je me sentais souvent niée.

Pour ne plus être une putain, et combler les manques qui en découlaient, j’ai fui dans le conjugalisme, dont je ne suis pas encore tout à fait sortie.

En même temps, j’ai refoulé mon corps, étouffé la spontanéité de ma sexualité, ma faculté de désirer et d’exprimer mon désir.

De ce point de vue la révolte des femmes les plus méprisées, les prostituées, est une revanche pour moi. Et à considérer tout ce que leur lutte a remué en moi, je commence à comprendre à quel point leur révolte ébranle en profondeur le système en place, réduit en poussières sa façade en montrant sa vérité ; l’utilisation marchande des femmes, corps et âme. Elle m’aide aussi à m’en dégager, au point que j’ai eu envie d’écrire tout ça et que j’ai pu le faire.

Vive le mouvement de libération des femmes et toutes les luttes de femmes.5

Simone de Beauvoir leur rend visite et le Planning familial les appuie6.

Lyon, église de Saint-Nizier

«  elles sont 100 le premier jour et 400  le 4ème jour »2

À Saint-Nizier. Chant des prostituées occupant l’église.
Autrice inconnue, interprétation contemporaine a capella par Mirah
À Saint-Nizier. Chant des prostituées occupant l’église, Lyon, juin 1975.
Bm Lyon, Chomarat Ms 0709

I
Quand nous occupons les églises,
Ça te scandalise,
Grenouille de bénitier!
Toi qui nous promettais le diable
Nous venons manger à ta table,
A SAINT-NIZIER.
II
«Tu as beau invoquer la Vierge,
Brûler tous tes cierges
et crier au péché !
Pour quelques-uns qui nous méprisent,
Combien d’autres nous ont comprises
A SAINT-NIZIER.
III
Durant des siècles de silence
et d’intolérance,
Nous étions habituées
à être traitées comme des bêtes!
Nous avons relevé la tête
A SAINT-NIZIER.
IV
En utilisant leurs matraques
Les flics à Chirac,
Ponia, Lecanuet,
Ont cru gagner une bataille !
Il ont fait une erreur de taille
A SAINT-NIZIER.
V
Nul ne peut plus nous faire taire !
De toute manière,
Nous voulions arracher
le droit d’être ce que nous sommes,
Femmes, et non pas bêtes de somme
A SAINT-NIZIER.

Source : Bm Lyon, Chomarat Ms 0709

Comité d’action des femmes prostituées de Lyon

Les femmes prostituées de Lyon s’adressent à la population

Nous avons demandé à l’état de nous entendre en tant que femme. Poniatowski nous répond à coups de matraques, nous prend notre argent, nous met en prison, nous insulte, nous frappe, nous sort de force des églises pour nous mettre de force dans les maisons closes, et nous retire nos enfants.

Il refuse de nous voir en tant que femmes.

Il ne nous accepte que comme usine du sexe.

Il parle de proxénétisme, mais il prend notre argent, et reste en liberté !

Alors nous disons :

NON aux proxénétisme,
NON aux maisons closes,
NON à la répression policière,
NON aux peines de prison.

OUI à la justice
OUI pour être des femmes à part entière.

Plus unies que jamais dans la dignité, pour la création des Etats Généraux des femmes prostituées, nous nous regroupons dans la lutte!5

Communiqué du 5 juin 1975

Eh bien, oui ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est au nom de l’application intégrale de la loi française actuelle que nous demandons à sortir de notre lieu d’asile.

Pour la première fois enfin, nous avons pu nous faire entendre d’une grande partie de l’opinion publique. Des témoignages de soutien ne cessent de nous arriver, des femmes prostituées d’autres villes de France nous rejoignent : tout cela nous permet de continuer notre action dans la dignité.

Plus rien, désormais, ne peut nous intimider. Le mouvement s’avère irréversible, nous sommes à un tournant dans l’histoire dé la prostitution, et pour sortir de l’église, nous ne plierons sous aucun chantage !

Nos revendications immédiates s’appuient ni plus ni moins sur la législation française, qui n’est pas respectée par les pouvoirs publics pour ce qui nous concerne. La loi, en effet, dit :

1. — La prostitution ne constitue pas un délit.

Alors pourquoi la prison pour celles qui s’y livrent ? Nous ne le répéterons jamais assez, mais pour la plupart, nous sommes avant tout des mères, et nos enfants ne nous veulent pas en prison ! Le tandem approbation de la prostitution/répression doit prendre fin. Ceux qui finalement sont « pour » la prostitution n’ont pas le droit de vouloir, en même temps, que les femmes prostituées de toute une ville soient sanctionnées pour sauver la façade de moralité publique ! Nous réclamons donc au Garde des Sceaux ou à ses représentants, la ferme assurance que nous ne serons plus condamnées arbitrairement à des peines de prison.

2. — Sont passibles d’amendes les personnes ayant des attitudes de nature à provoquer la débauche. Nous ne nions pas à la police le droit de verbaliser de telles attitudes. Mais encore conviendrait-il que celles-ci soient dûment définies, et que l’on cesse de lier prostitution à débauche, la prostitution, encore une fois, n’étant pas un délit ! Nous exigeons, par conséquent, qu’on ne nous pénalise plus pour de simples sourires aux passants, et que chaque infraction que l’on pourrait nous reprocher nous soit clairement signifiée, accompagnée d’un contrôle d’identité légal.

3. — Aucune discrimination ne doit frapper les personnes prostituées. C’est pourquoi nous revendiquons le droit au même respect que celui qui entoure tout autre citoyen.

4. — Les maisons closes sont supprimées. Il n’est par conséquent pas question qu’elles soient de nouveau ouvertes, sous forme d’éros-centers ou autres. Ainsi que nous l’avons écrit au Président de la République, jamais nous n’accepterons de devenir des fonctionnaires du sexe, à la liberté limitée !

5. — Sont prévus des dispositifs favorables à la réinsertion des femmes désirant quitter librement la prostitution. L’expérience témoigne, pourtant, que cette réinsertion est rendue très difficile. Nous dénonçons donc ouvertement la non-application de ces textes (Ordonnances de 1960).

Au nom de la loi, laissez sortir de l’église Saint-Nizier les femmes que nous sommes, et qui resteront à jamais le symbole de notre libération à toutes !

Fait en l’Église de Saint-Nizier à Lyon, le 5 juin 1975

« maintenant c’est une affaire de femmes … » 7 juin 1975

On ne quittera pas les lieux, moins que jamais. Nous relevons la tête, nous montrons que nous ne sommes pas du bétail. Nous sommes des femmes comme toutes les femmes… Nous avons informé les ministères de l’Intérieur, de la Santé, de la Justice. Ils ne veulent pas entendre nos revendications… nous sommes trois mille femmes au bord de la révolte, pas seulement dans les églises mais dans la rue, pas seulement à Lyon, mais à Marseille, à Montpellier, à Grenoble, à Paris… Ce n’est pas seulement une question de prostitution, c’est une question de femme, contrairement à ce qu’a dit Françoise Giroud. Actuellement, les femmes ne peuvent plus supporter la ségrégation entre les femmes et les hommes.
Ce sont des hommes au gouvernement qui ont pris deux femmes avec eux pour nous faire miroiter : « vous voyez, maintenant, il y a des femmes au gouvernement, vous pouvez vous faire entendre. »
En réalité, maintenant, on a un problême de femmes, on s’adresse à ces femmes et toutes les deux se défilent. Françoise Giroud nous renvoie dans les mains d’un homme qui est un policier.
Françoise Giroud, n’en parlons plus. Est-ce qu’elle est un homme, est-ce qu’elle est une femme, elle ne sait plus très bien où elle en est…
Le ministère de la Justice était le seul à nous avoir donné un espoir relatif. Nous l’avons rappelé ce matin. On a eu le remplaçant du chef de cabinet. Il n’a rien inventé en disant que le recours en grâce est suspensif des condamnations, et que ça ne concernait que neuf jeunes femmes, alors que, actuellement, on est des milliers. Il a dit aussi que, à Lyon, la loi sur la récidive avait été appliquée de façon illégale, c’est-à-dire sur des procès verbaux, au lieu d’être sur des condamnations, c’est encore du ressort de la police. Le remplaçant du chef de cabinet, il répondait à côté de la question. Quand nous l’avons acculé en lui demandant de transmettre notre demande au ministre, il s’est permis de nous raccrocher au nez parce qu’il sentait qu’il était incapable de répondre, il avait peur de soulever un couvercle et peut-être de trouver des gens de sa condition dans la marmite. Si le gouvernement employait la loi anti-casseurs, nous supporterions passivement, nous sommes des femmes, des mères de familles. Il y en a qui sont gravement malades, les médecins sont venus ce matin et il y aurait peut-être une déclaration officielle à faire, elles auraient un besoin urgent d’être hospitalisées, il y en a une qui est cardiaque, elles se refusent pourtant à quitter l’église. Si les pouvoirs publics veulent employer la loi anti-casseurs qu’ils ne se gênent pas. Des femmes les attendent à mains nues et se feront casser la tête par les pouvoirs publics.
Leur réponse, maintenant, on s’en moque, on en n’a plus besoin, ce sont des femmes qui vont agir, ils nous ont ignorées. On va leur montrer ce dont est capable un mouvement collectif et complètement national de femmes.
Quand on se rend compte que le monde entier est venu se pencher sur ce problème, les journaux, pas les journaux à scandale, mais ceux qui sont lus par la majorité de la population. Nous avons eu le Canada, les Etats-Unis, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, et Stockholm était là ce matin pour le problème de la prostitution.
Nous avons une dizaine de personnes au gouvernement, qui ont été élues par un ensemble de population et qui se permettent d’ignorer les revendications des femmes dans leur propre pays.
Je pense qu’avant de seulement prôner la sagesse dans d’autres pays « ne faites pas la guerre, faites l’amour … ». Avant de manger sa soupe, on regarde dans son assiette. Maintenant, c’est une affaire de femmes et nous lançons un appel à toutes les femmes prostituées, pour qu’elles se groupent, qu’elles téléphonent à tous les ministères, nous demandons à toutes les femmes qui se sentent concernées par un problème de femmes de venir nous rejoindre, à tous les mouvements de femmes, à tous les partis politiques.
On nous a taxées d’être manipulées par des partis politiques, nous n’avons jamais été dans la politique, nous ne cherchons pas à connaître le parti politique quel qu’il soit.
Nous demandons à toutes les femmes de venir nous rejoindre, parce qu’en fin de compte le gouvernement est en train de réprimer toutes les femmes et ce sont toutes les femmes qui sont jugées actuellement, c’est toutes les femmes qui reçoivent des coups de matraques sur la tête.
On les attend toutes, toutes, toutes aussi longtemps qu’il faudra tenir. Que toutes les femmes lâchent tout ce quelles ont, pour venir aider d’autres femmes.
Aujourd’hui, samedi, il y a beaucoup de femmes qui ne travaillent pas. Il faut que ça s’entende. Il y a beaucoup de femmes qui voudraient faire quelque chose, mais qui ont peur de gêner, qui pensent qu’on ne voudrait pas qu’elles viennent ; il faut qu’elles viennent, toutes.5

Télé-trottoir sur la prostitution : Télé-trottoir sur le mouvement des prostituées qui occupent l’église Saint-Nizier à Lyon pour protester contre leurs conditions de travail. – Archives INA, 7 juin 1975.

Communiqué du Cercle Flora Tristan du M.L.F., Lyon, 9 juin 1975

« Parce que la révolte des femmes prostituées fait partie de la lutte de toutes les femmes pour leur libération, le Cercle Flora Tristan du M.L.F., Lyon, a diffusé la première «Lettre à la population » du Collectif d’ Action des Personnes Prostituées de Lyon.
Notre Cercle faisait simultanément connaître ses positions : Femmes, soyons solidaires avec les femmes prostituées en lutte :
• contre la répression sous toutes ses formes, présente et à venir, qui s’exerce contre les femmes prostituées ;
• contre le mépris, les insultes, l’humiliation constante des mâles dominateurs qui profitent de cette occasion pour se montrer tels qu’ils sont : maîtres tout puissants de toutes les femmes ;
• pour la suppression de la prostitution qui ne disparaîtra qu’en même temps que la famille patriarcale monogamique reposant sur l’oppression de femme par l’homme.
Des contacts ont aussi été pris avec les prostituées occupant l’église Saint-Nizier, en vue d’organiser une réunion de discussion et d’apporter notre soutien à leur juste lutte. »

Le militant homosexuel Michel Chomarat publie un dazibao devant l’église

« La répression s’abat également sur les homosexuels – qui paient également des PV à 160 F – qui sont également poursuivis par la police à Lyon. Nous exigeons la libre disposition de notre corps. Nous sommes de ce fait solidaires de la juste cause des femmes ».

Il souligne que « les PD étaient également taxés de PV – pour le même motif – lorsqu’ils draguaient sur la voie publique, comme les quais du Rhône et de la Saône.9

10 juin – Expulsion brutale des églises occupées

Sur ordre de Michel Poniatowski, ministre de l’intérieur, les églises sont violemment expulsées au petit matin (5h).

Valéry Giscard d’Estaing annonce une mission d’information sur la prostitution. Simone Veil nomme le juge Guy Pinot qui sera en charge de recueillir les doléances des prostituées.

Lyon

Après Saint-Nizier : Après l’évacuation par la police de l’église de Saint-Nizier à Lyon, une prostituée parle de ce qu’elles souhaitent pour la suite, l’éventuelle création d’un syndicat, et d’Ulla, l’une des figures de proue du mouvement, qui disparu. Interviews d’Aimé PAQUET, médiateur à qui ces dames ont fait appel, et du curé de Saint-Nizier. – Archives INA, 10 juin 1975.

Maintenant que j’ai des amies, je compte sur elles (récit non-daté, post expulsion)

Maintenant, depuis un mois, je vois tellement de journalistes, ça me dégoûte, j’ai l’impression de me prostituer mais pour rien… mais ce que ce mouvement nous a apporté, ce qu’il m’a apporté, c’est que

je ne croyais pas qu’il y avait tant de gens qui nous comprenaient.

Comme seule réponse, alors qu’on a combattu calmement, à nos revendications, on nous a répondu par des coups de matraques,

mais aussi on nous a apporté des fleurs et des couvertures ; il y avait 120 femmes dans l’église à Lyon, 100 flics sont venus avec des chiens. A Lyon, il y a 130 femmes prostituées. Je crois que, pour le moment, il ne faut pas mêler nos histoires personnelles et le mouvement, nous sommes solidaires les unes des autres, dans ce mouvement très vite nous nous sommes organisées que ce soit pour la vaisselle ou pour le ménage, ça s’est fait d’instinct et d’autres filles ont fait la même chose dans d’autres villes… A l’église de Saint-Nizier, on voyait deux films par jour, il y a des groupes de musique qui sont venus,

un soir on a dansé, une autre fois un jeune est venu et a commencé à jouer de la musique indoue et, peu à à peu , on s’est mises à jouer aussi,

on a toutes fait de la musique… Mes deux enfants sont en nourrice. Au moment de l’occupation de l’église, nos enfants étaient gardés par des amies ou de la famille ou des anciennes prostituées. Avant de commencer le mouvement, il y a eu une semaine de préparation, pour que toutes puissent y participer… Je ne sais pas, je ne crois pas qu’il y ait plus de filles indépendantes qu’auparavant, mais avant c’était forcé alors que, maintenant, c’est parce qu’elles le veulent bien. Mais un homme, il ne sort pas avec une prostituée, il a peur, il part, il risque toujours d’avoir des ennuis et d’être accusé de proxénétisme. Moi, je peux rester seule, mais je suis comme les autres, le plus souvent on n’a rien eu, pas de maison, pas de foyer, rien, alors quand je m’étais acheté une super télé en couleurs, quelquefois je me relevais la nuit et j’allumais la télé et je me disais elle est à moi, le peu qu’on a, on se l’achète, on achète l’amour. J’étais aux sports d’hiver avec mes deux enfants, on m’appelait madame, j’achetais ma dignité ; on me respectait !

on veut être respectées parce, que, toujours on nous craché tellement dessus mais ce rêve on le touche, on l’atteint jamais… depuis que je suis toute petite, je voulais des enfants. J’étais institutrice, j’ai voulu mon enfant… Maintenant on a espoir d’être reçues mais les autres, les journalistes ont beaucoup parlé pour nous alors que personne ne peut expliquer la prostitution comme nous… L’état reçoit 150 milliards par grâce à la prostitution si on compte seulement une moyenne d’un P.V. par jour par fille…

on a voulu être reconnues. Si on nous reconnaît, le proxénétisme n’existera plus… Il y a trois ans que je suis prostituée. Depuis deux mois on a décidé de nous donner des impôts avec un rappel sur cinq ans, en tout cas c’est ou les impôts ou les P.V. mais pas les deux. Le danger c’est que, si on nous donne un statut, on voudra réouvrir les maisons closes et nous on ne veut pas être enfermées dans des maisons avec des cadenas où on ne voit jamais le soleil. Les prostituées c’est comme un vide ordures, on les tolère pour les travailleurs étrangers… Quand ils nous fait évacuer l’église, ils m’ont frappée dans l’église, nous on disait de assises. C’était notre force… Je n’ai rien vu, ils s’en sont donné à cœur joie. Ulla a été assommée, moi j’ai mal à la colonne vertébrale, j’ai des bleus sur le corps, ma robe était en lambeaux j’étais nue dehors, l’inspecteur avait dit qu’il fallait nous sortir de gré ou de force, il me disait de me taire et qu’il n’était pas la même chose en tant que flic et en tant qu’homme… à partir de mercredi les filles ont commencé à reprendre le travail… de toutes façons ça ne peut pas être pire que ça l’est… dans certains endroits à Avignon il y a marqué « interdit aux chiens et aux prostituées… » à Paris, dans les bars, on reçoit des insultes… on a pas l’habitude que les gens soient sympas, qu’ils nous donnent des fleurs, c’est un réflexe pour nous de nous demander pourquoi les gens sont sympas… On vient pas au monde prostituée, on le devient, voilà… j’avais tous les défauts, enfant de l’assistance publique, mère célibataire, prostituée…

depuis que j’ai cinq ans je lutte, depuis toujours ; contre tout, les gens sont pourris, je lutte contre tout depuis toujours, maintenant j’ai des amies, je compte sur elles.5

Paris

Paroles de prostituées parisiennes : Après l’évacuation brutale de la chapelle Saint-Bernard à Paris, des prostituées témoignent des violences et espèrent trouver un nouveau lieu pour continuer à organiser la lutte ensemble. – Archives INA, 10 juin 1975.

Le quotidien des femmes prostituées – Kate (non-daté)

Les prostituées sont à l’avant-garde du mouvement des femmes. Les plus opprimées, les plus haïes, les plus châtiées, les plus poursuivies de toutes les femmes. Aujourd’hui ce sont aussi les plus conscientes et les plus combatives. La grève des prostituées à travers toute la France est la meilleure nouvelle que les femmes aient jamais eue. Depuis bien longtemps, c’est la plus grande émotion, le plus grand espoir. La grève a lieu spontanément, elle vient d’en bas, elle vient du peuple. C’est une réponse claire et directe aux conditions dans lesquelles elles sont contraintes de vivre : le harcèlement par la police, l’hypocrisie de la société, la répression sexuelle, l’exploitation de la femme par l’autorité mâle, le maquereautage, l’extorsion mâle. Des femmes avec des enfants à élever et des moyens hasardeux pour gagner leur vie, qui vivent sous de continuelles menaces d’arrestation, d’emprisonnement, d’abus sur leur corps, et d’humiliation psychique. Des femmes dont le quotidien est le mépris public et la dérision. De telles femmes grandissent en nombre, en colère, en détermination, en solidarité. De telles femmes, avec une admirable intelligence politique choisissent de prendre pour refuge les églises, défiant l’ancienne « autorité morale » sur laquelle se fonde leur oppression et, debout devant les autels du christianisme, bravant l’Etat, sa bureaucratie, son officialité, ses ministères, les pouvoirs de ses polices. De telles femmes impriment des tracts, formulent des revendications, interviewent la presse, élaborent des stratégies, déterminent des nécessités, trouvent de quoi vivre, fondent des déterminations, la détermination de tenir.

Et puis, jetées dehors par la force, par la bêtise de la police, par un gouvernement incapable d’agir, de raisonner ou de répondre, par une « préposée à la condition féminine » qui se désintéresse complètement des femmes et dont la lâcheté et l’inactivité ont honteusement déçu, F. Giroud s’est dérobée devant le défi lancé à son bureau et à sa fonction vide. La seule viabilité possible de sa charge. Il y a tout de même plus d’intelligence morale dans la visite de Simone de Beauvoir à la chapelle Saint-Bernard. Et les veilles continuaient à Lyon, à Marseille, à Montpellier, à Paris, à Grenoble… Les femmes ensemble en lutte et solidaires, nuit après nuit, à travers là France.

La vie soudain dans les grottes vides des églises, avec les femmes, les couvertures, les enfants, le jus d’orange, et l’espoir. Jusqu’à l’arrivée des flics.

Mais quelle qu’en soit l’issue, ce commencement est en soi une victoire. Victoire sur le passé et ses horreurs, sur le présent et son aliénation. C’est dans cet immense et dramatique événement que la lutte de toutes les femmes puise ses origines, et elle commence ici.

Le meilleur est encore à venir.5

Communiqué de soutien international 11 juin

Trente femmes des pays suivants (Pays Bas, Belgique, Suède, Danemark, Finlande, Islande, et les Iles de Farô) réunies dans une conférence sur la position de la femme dans la société à Nimègue (Pays-Bas) le 9, 10, 11 juin 1975 affirment leur solidarité avec les femmes de Lyon ayant occupé une église pour protester contre leurs conditions de travail.

Nous vous soutenons dans votre protestation contre la loi française et contre une société hypocrite qui permet aux hommes d’avoir librement des relations sexuelles pour lesquelles femmes sont méprisées.5

16 juin Conférence de presse du collectif des prostituées de Paris et de France
Mesdames, au nom du collectif des prostituées de Paris et de France, nous vous avons réunies aujourd’hui dans cette salle…

…pour faire le point jusqu’à ce jour et, ce, depuis le début de notre mouvement, le 6 juin 1975. Nous remercions toutes nos consœurs dans la collaboration et la solidarité qu’elles nous ont apportées et qu’elles nous prouvent encore, prêtes encore, j’en suis persuadée, à donner d’elles-mêmes une nouvelle fois. Nous savons que la majorité des militantes de notre mouvement a repris ses activités et nous sommes entièrement d’accord. Il n’en est pas moins vrai que nous, comité de tête dans son entreprise d’action, continuons notre lutte afin d’obtenir un résultat concret sur nos points de revendications.

La presse nous a annoncé que notre président de la République, monsieur Giscard d’Estaing, devait faire abolir la loi Marthe Richard et, de ce fait, a chargé madame Simone Veil, ministre de la santé publique, de se préoccuper de notre cas, car nous avons pu remarquer que, parmi les hautes personnalités de l’Etat, ni madame Françoise Giroud, ni monsieur Poniatowski n’ont cru utile de prendre la responsabilité nécessaire qui s’imposait, chacun d’eux se dérobant à sa façon. C’est pour cette raison, dès lors, que nous avons des promesses en cours qui ne peuvent faire autrement que de solutionner un terrain d’entente.

Notre consœur lyonnaise Barbara est venue nous rendre visite au nom du collectif des prostituées de France, toutes ici, présentes ou absentes de cette réunion, pour que vous compreniez que nos revendications ne seront appuyées que si l’ordre et la dignité restent maîtres de la situation. Pour ce faire, il faut bien vous dire que toutes les doléances formulées sur nos tracts ne doivent pas être controversées aujourd’hui. Certaines d’entre nous ont suivi les travestis sans qu’elles sachent pourquoi.

Nous réclamons entre autres et surtout d’être des mères libres pour nos enfants. Les travestis peuvent-ils être des mères ? Je vous laisse faire votre propre réponse. Certes nos amis travestis ont été vis à vis de nous et surtout à Paris d’une solidarité à toute épreuve et nous leur disons merci. Si nous bénéficions de l’article 1104 du code pénal, ils en bénéficieront aussi, si nous obtenons l’abolition des peines de prison en matière de procès verbaux, ils l’obtiendront, mais il ne faut pas oublier que notre société fait une différence entre nos deux sexes et qu’elle est hostile à ce groupement d’ensemble et je demande à nos amis travestis de faire une action parallèle à la nôtre mais pas du tout similaire.

Et je demande aux femmes prostituées de revenir avec nous afin d’éviter des critiques inutiles qui seraient fondées et dont elles nous éclabousseraient de ridicule dans l’état de nos revendications.

Je dis donc, soyez avec nous, pour nous, pour que la cohérence de notre entente soit unifiée, entendue et prise en considération.

La lutte continue, faites nous confiance, nous n’avons pas l’intention de dissoudre ou d’effriter le bloc de soutien que nous sommes.

Nous attendons quelques jours pour savoir si le gouvernement modifie le texte de loi avant de créer une éventuelle nouvelle relance.

Informez-vous auprès de nous, vos idées seront acceptées et examinées avec toute l’attention qu’elles méritent. Conservez votre confiance en nous. Même si le calme est revenu après la tempête, il nous reste à vous remercier de votre très grande compréhension. Battons-nous pour nos enfants, pour nos droits, pour la liberté de chacun, pour le respect de notre concept et la dignité de l’entreprise que nous avons ébauchée, afin que nous triomphions dans un avenir plus clément et, si la réinsertion de plusieurs d’entre nous se produisait, que nous puissions lever très haut la tête et bannir la clandestinité de la prostitution qui est reconnue nécessaire depuis des millénaires, merci à vous toutes.5

Mesdames, je vous dis bonjour. Je suis vraiment déçue parce qu’il n’y a pas grand monde et c’est vraiment la première catastrophe qui pouvait arriver…

Je ne sais pas si vous avez vraiment conscience que la lutte que nous faisons actuellement c’est la lutte de toutes les prostituées de France, c’est pas la lutte de 3 ou 4 filles. J’aimerais que vous expliquiez à vos compagnes : pour celles qui sont venues, j’espère qu’elles sont venus parce qu’elles avaient confiance en ce que nous faisons et pas pour nous faire plaisir à nous, j’espère qu’elle le comprennent elles-mêmes.

Je vais expliquer à peu près ce qui s’est passé et pourquoi on a fait ce qu’on a fait jusqu’à maintenant, je parle surtout aux femmes prostituées, beaucoup d’entre vous n’ont pas compris pourquoi nous avions agi de cette façon.

Je parle de Lyon parce que c’est la ville où je travaille. Les répressions sont à peu près partout pareil, plus ou moins grandes, mais à Lyon c’est nous qui payons pour des histoires d’hôtel d’il y a trois ans. La police passe, nous met un PV, on a même pas le double, on écrit sur un bout de papier notre nom, notre adresse, on passe devant nous en voiture, on lève le pouce et hop, un PV : à la fin de la soirée on a cinq PV, au moins trois sûrs par jour, j’ai des preuves à l’appui que j’ai donné à des journalistes du Rhône qui ont pu les photocopier. Chaque PV nous vaut trois à huit jours de prison.

Toute prostituée que je suis, j’écoute quand même l’assemblée générale, parce qu’une prostituée ça pense malgré ce que les braves gens peuvent en dire, et j’ai entendu M. Lecanulet dire qu’il n’était plus question de mettre les gens en prison pour un oui ou pour un non, parce que la prison n’arrangeait pas, ne servait à rien. OUI, mais nous on nous met en prison et c’est pour ça qu’on s’est mises dans une église et les journalistes vont dire pourquoi dans une église ? Parce que c’était le seul endroit où la police ne devait pas venir nous frapper. Là, on a bien eu tort, car il ne se sont pas vraiment pas gênés pour nous taper. On a revendiqué d’une manière digne, correcte, droite et à sa Poniatowski nous a répondu par des coups, des chiens lâchés dans les églises et des bombes lacrymogènes.

Je suis dégoûtée que l’on soit reçues par Mme Veil, au ministère de la santé publique, alors que Mme Giroud, elle, ne nous considérons pas comme des femmes, a refusé de nous recevoir. Ça c’est quelque chose d’abominable, car c’est vraiment nous remettre à l’état d’entre-jambes.5

Conférence de presse des prostituées : Lors de la conférence de presse des prostituées, Barbara prend la parole. Elle demande la déstigmatisation de leur profession et réagit à la nomination d’un Monsieur Prostitution du Ministère de la Santé pour dialoguer avec elles. – Archives INA, 16 juin 1975.

21 juin – 2e convention nationale des prostituées (San Francisco)
À San Francisco

La deuxième convention nationale des prostituées appelle toutes les femmes à se reconnaître et à s’unir à leurs sœurs prostituées. Elle aura lieu samedi 21 juin à San-Francisco. Tant qu’une femme est traitée de putain, toutes les femmes le sont. Ce n’est plus qu’une question de prix.

Il est plus difficile pour les femmes de comprendre la prostitution, parce que, à la différence de l’avortement, il se peut que ça ne les touche pas aussi directement.

Pour toutes les femmes, le droit à la libre disposition de leur corps est aussi fondamental qu’il s’agisse de la prostitution ou de l’avortement.

Les Etats-Unis sont un des pays les plus répressifs du monde en ce qui concerne la prostitution, et l’Année Internationale de la Femme est le moment de dénoncer et de combattre cette discrimination.

En 1955, les Nations Unies ont rendu la prostitution légale dans plus de cent pays — et, cependant, des milliers de femmes sont encore dans les prisons des U. S. A. : c’est le résultat de la répression policière.

« Coyote » est une association de gens qui croient et affirment que la prostitution n’est pas un délit. Leur lutte est un pas vers une plus grande liberté individuelle pour toutes. « Coyote » a été fondé en 1973… le jour de la fête des mères.

Nous soutenons la grève de nos sœurs en France et l’occupation des églises.

Nous dénonçons l’Eglise comme un des hauts lieux d’hypocrisie en ce qui concerne la sexualité.

La séparation de l’Eglise et de l’Etat est essentielle pour la liberté individuelle.

« my ass is mine, to sell or give. »

Nous n’avons pas besoin de leurs lois « protectrices ». Nous pouvons nous prendre en charge toutes seules !

En tant qu’être humain adulte, j’insiste sur le droit d’user de mon propre jugement…

Surtout lorsque cela concerne mon propre corps, mon propre temps.

Je ne me laisserai pas plus longtemps abuser par ceux qui profitent de ma persécution !

Je n’attendrai plus un instant pour ma libération. maintenant !

Qu’on mette fin au pouvoir qui conditionne le délit !

Qu’on mette fin au matraquage et à la répression policière !

Je ne veux plus être arrêtée sous prétexte de « bloquer le trottoir », à moins que je ne vous empêche vraiment d’y marcher !

Je ne veux plus, être arrêtée pour sollicitation quand c’est vous qui me sollicitez !

Je dis NON aux traitements contre la syphillis, à moins qu’il soit prouvé que je l’ai, et je refuse d’être enfermée en prison sous prétexte « d’attendre les résultats ».5

30 juin

États généraux de la prostitution à la Bourse du travail de Lyon

Texte d’affiches des États généraux

Oui :
être des femmes à part entière

liberté et justice
contrôle sanitaire
états généraux des prostituées

Non :
proxénétisme
maisons closes
répression policière
peines de prison3

Juillet

1er juillet

Les États généraux de la prostitution à Lyon : Plans extérieurs de la bourse du travail avec des personnes devant (0’25 ). Plans intérieurs de la salle avec une nombreuse assistance et, au fond, l’estrade sur laquelle ont pris place les prostituées (0’45 ). Courte interview de Delphine SEYRIG qui assistait à cette réunion (0’26). – Archives INA, 2 juillet 1975

L’une d’entre nous a assisté aux Etats Généraux de la Prostitution à Lyon, le 1er juillet 1975…

Des prostituées de différentes villes ont fait connaître leurs premières revendications :
« Non aux prisons — Non aux maisons — Non aux amendes. »
Certaines d’entre elles ont fait état de leurs chiffres d’impôts.
C’est, en général, dès qu’elles achètent une chambre ou un appartement que le fisc se manifeste. Les impôts sont fixés avec un effet rétroactif de quatre ans (même si la fille n’est prostituée que depuis quelques mois…). Sur la base de 5 passes par jour au minimum, soit 500 FF.
On pourrait croire qu’en les imposant, l’Etat reconnaît les prostituées pour des professionnelles. Mais en même temps, il les taxe d’amendes tout à fait arbitraires (sans parler des ramassages, brutalités policières, peines de prison…) et qui peuvent s’élever elles aussi à des sommes équivalentes à leur gain journalier. Est invoqué l’article R 34 du code pénal, qui sanctionne « l’attitude de nature à provoquer la débauche ». Une représentante d’un groupe M.L.F. de Paris est venue raconter que plusieurs jeunes femmes allaient déposer plainte dans les commissariats parisiens contre le racolage des hommes, ceci en invoquant le même article et par solidarité envers les prostituées.4

Occupation du château de Valéry Giscard d’Estaing à Chanonat
« Nous sommes venues de toute la France visiter le château que M. Giscard d’Estaing a pu se payer avec le prix de nos amendes et de nos impôts. »

Guy Pinot alias « Monsieur Prostitution » : Suite au mouvement des prostituées à Paris et Lyon, Guy PINOT vient d’être nommé en charge du dossier. Il annonce comment il envisage ses nouvelles fonctions. – Archives INA, 21 juillet 1975

Août

22 août

Collage d’affiches par les prostituées à Lyon sur des sex-shops et cinémas pornographiques accusés d’être les « véritables promoteurs de la débauche »6.

Septembre

Les « belles de nuit » chez Guy Pinot : Après une entrevue entre la délégation des prostituées et Guy Pinot, « Monsieur Prostitution » du ministère de la Santé, interview d’ ULLA, porte-parole des prostituées. – Archives INA, 30 septembre 1975

Octobre

18 octobre

Ulla menace de perturber une élection partielle si le ministre de l’Intérieur n’ordonne pas de trêve de la répression policière. Elle annonce que 300 prostituées offriront une passe gratuite à tous les votants…6

Novembre

17 Novembre : Assises nationales de la prostitution à la Mutualité (Paris)

Assises de la prostitution : A l’occasion des assises de la prostitution la Mutualité, interview de Sonia, porte-parole. Elle demande que les prostituées obtiennent un statut et le droit au respect et à la dignité. Images de prostituées faisant le trottoir. – Archives INA, 18 novembre 1975

Quelques images d’une banque d’archive

Le planning familial prend en charge la location de la Mutualité

Décembre

Remise du rapport de Guy Pinot pour la Mission d’information sur la prostitution. Celui-ci n’a jamais officiellement été rendu public.

1976

Publication du livre d’Ulla par Ulla.

Publication du film Prostitution de Jean-François Davy

Avril

En réaction à un canular du 1er avril par le maire de Lyon Louis Pradel annonçant l’ouverture d’un Eros center à Lyon (archives INA), 40 prostituées occupent une antenne de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) en exigeant qu’on leur offre une alternative professionnelle6.

Débat d’étudiants avec des prostituées à l’université de Lyon II en avril 1976, retranscrit par Lilian Mathieu.

1977

Publication du livre de Barbara, La Partagée

1982

Occupation de la Church of the Holy Cross par une quinzaine de femmes du English Collective of Prostitutes à King’s Cross à Londres, pour protester contre la répression policière et le racisme.

Sources

  1. Le mouvement des prostituées en France. In: Cahiers du féminisme, n°5, 1978. Dossier Prostitution (juin – juillet – août 1978) pp. 32-33.
    DOI : https://doi.org/10.3406/cafem.1978.2889
  2. Mémoire des sexualités, années 70-75.
  3. JAGET, Claude, Une vie de putain, La France sauvage, 1975.
  4. Les cahiers du GRIF, 1975, #8 pp. 61-62
  5. Le quotidien des femmes, n°4, jeudi 26 juin 1975.
  6. Lilian Mathieu. Répertoire et mémoire. Répertoire des mouvements sociaux et formes de résistances contre les pouvoirs, Aysen Uysal, Apr 2015, Izmir, Turquie.
  7. Conférence « Un mouvement improbable à Lyon : la révolte des prostituées de 1975 », Laurent Burlet, Danièle Authier, Christiane Ray, Lilian Mathieu, Père Christian Delorme, Bibliothèque de Lyon, le 20/11/2021.
  8. Le fonds Louis Blanc : les archives d’un prêtre militant par Iliana Ferrant-Bouchau, L’Influx, 30/10/2021
  9. Mémoire des sexualités, Entretien avec Michel Chomarat (Mathias Quéré).
  10. À Lyon, 2 juin 1975 – 2 juin 2015 : 40ème anniversaire de l’occupation de l’église Saint Nizier à Lyon par les personnes prostituées, Mouvement du Nid, 1er juin 2015.
  11. Mathieu, Lilian. Débat d’étudiants avec des prostituées à l’université de Lyon II en avril 1976, Clio, 17 | 2003, 175-185.

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